Jean-Marie Harribey, professeur d’économie à l’université de Bordeaux et coprésident d’ATTAC, souligne le rôle que souhaite tenir l’organisation, ses priorités et les mobilisations à venir.
L'Humanité, septembre 2007
Avec Attac, vous n’avez pas pris position en faveur d’une candidature ou d’une autre lors des dernières élections. Quelle est, selon vous, la raison première de la défaite de la gauche ?
Jean-Marie Harribey. Les forces traditionnelles de gauche ont progressivement abandonné toute ambition de transformer la société dans un sens social, écologique, démocratique. Au pire, elles ont participé à l’impulsion des politiques néolibérales au cours des dernières années en termes de déréglementation ou de privatisation. Au mieux, elles ont accompagné les transformations fondamentales du capitalisme actuel. Là est la source première des déroutes électorales successives qui ne s’arrêteront pas si une inversion radicale n’est pas engagée pour reconstruire des alliances entre tous les mouvements sociaux qui se heurtent au néolibéralisme. Croire que l’on peut se contenter de quelques petits aménagements conduirait à l’approfondissement des échecs auxquels on vient d’assister.
Quelle place souhaite occuper votre mouvement dans ce contexte ?
Cette déroute politique nous permet de remettre le doigt sur la façon dont on conçoit notre rôle dans l’espace citoyen. Tout d’abord, nous ne changeons pas de fil conducteur, à savoir que nous ne participons pas à la compétition électorale. ATTAC ne sera pas partie prenante de la recomposition de l’espace politique, absolument nécessaire au demeurant, mais cela ne relève pas de notre responsabilité.
Ne pas participer à cette recomposition, cela veut-il dire désintérêt ?
Non seulement nous ne désintéressons pas du débat politique mais nous voulons contribuer à le nourrir. Que personne n’attende de l’association ATTAC qu’elle lance un appel à créer tel parti plutôt qu’un autre. Ce n’est pas notre rôle. En revanche, l’espace politique à gauche ne se renouvellera que par un travail en amont pour éclairer les enjeux fondamentaux, c’est-à-dire les choix à opérer pour construire des alternatives aux logiques libérales. Nous pensons que notre responsabilité d’association réside là : mettre sur la place publique tout ce que nous considérons comme enjeux fondamentaux politiques au sens premier du terme pour infléchir les logiques globales qui gouvernent le monde. Pour cela, nous avons besoin de nous adresser aux citoyens pour aborder ces questions difficiles que sont la dérégulation, les politiques financières et monétaires au service des classes dominantes. Voyez ce qui se passe au niveau de la fiscalité et de la remise en cause des services publics, de la protection sociale ou de la marchandisation du vivant.
Quels chantiers prioritaires aujourd’hui pour Attac ?
Nous lançons des initiatives sur trois grands axes. Premièrement, sur la question européenne à travers deux dimensions. D’abord, l’exigence d’un débat démocratique avec le lancement d’un appel pour obtenir un référendum sur le projet de traité modificatif. Ce dernier vise à réintroduire dans les traités antérieurs l’essentiel du TCE pourtant mis en échec par le double non français et néerlandais en 2005. C’est donc cette même question qui devra être posée aux Français : acceptez-vous ce que vous avez refusé il y a deux ans ? Nous ferons en sorte pour qu’ils répondent de la même manière que le 29 mai 2005. Deuxième élément : au moment où nous demandons que la démocratie préside à l’établissement des futurs traités, nous devons amorcer le débat sur le type d’Europe que nous voulons. Pour résumer notre démarche, nous intervenons pour que la priorité revienne aux choix de type social et écologique et non à l’accompagnement des logiques financières.
Le deuxième axe porte sur l’exigence de solidarité face à la montée des inégalités. C’est pourquoi nous allons participer aux mobilisations contre les franchises médicales, contre le basculement des contributions sociales sur une éventuelle TVA sociale. Cette dernière exonérerait les entreprises de la responsabilité de payer la totalité du salaire, cotisations incluses, en basculant sur les consommateurs par le biais d’une fiscalité indirecte. De même pour la question de l’accès aux services publics menacés avec l’application des directives européennes dans le domaine postal, avec la réforme de l’université… Et, dans le domaine international nous nous mobiliserons contre les accords bilatéraux léonins imposés aux pays du Sud.
Troisième axe : relier les revendications d’ordre social aux revendications d’ordre écologique. Le gouvernement a lancé son Grenelle de l’environnement pour octobre prochain. Nous allons participer à l’organisation de « Grenelle citoyens » afin de répondre aux conclusions qui sortiront de l’initiative officielle et exiger quatre moratoires, un sur le programme autoroutier, un autre sur les OGM, un sur le projet d’EPR et un sur les incinérateurs. La question de l’urgence écologique devient pour nous un axe fondamental.
Ces mobilisations vont se développer dans le cadre d’échéances à moyen terme : au second semestre 2008, la présidence française de l’Union européenne et le Forum social européen. Nous replaçons toujours ces chantiers dans une dimension internationale car la crise financière pèse une fois de plus sur les plus pauvres de la planète. L’aggravation des inégalités dans le monde menace les équilibres sociaux et politiques de notre planète. Nous retrouvons dans ces enjeux l’essence même de l’altermondialisme qui est né de cette idée que la mondialisation capitaliste impose une logique globale à l’ensemble du monde. C’est pourquoi la construction d’alternatives doit s’élaborer sur le terrain local tout en pensant l’action au niveau global. Le 26 janvier 2008, se déroulera une Journée mondiale et décentralisée du Forum social mondial au cours de laquelle nous essaierons de mettre en avant dans le monde entier ces exigences globales face au bulldozer néolibéral./.