Article de Denis Clerc dans Alternatives Economiques du mois de février 2007.
Suis-je naïf ! Je pensais qu’il était fini le temps des annonces démagogiques faites par tel ou tel candidat à la veille d’une élection pour tenter d’attirer les votes des gogos. Que les promesses du style « demain, on rasera gratis » avaient fait leur temps. Et que plus personne ne se laisserait désormais prendre au genre de fanfaronnades que nous avait servies Jacques Chirac en 2002, promettant dans l’incrédulité générale une réduction de 30 % de l’impôt (sur le revenu).
Eh bien si ! Même chez les journalistes, d’ordinaire plutôt sceptiques, pas grand monde semble s’être étonné du contenu de l’interview de Nicolas Sarkozy dans Le Monde du 23 janvier. J’en résume l’essentiel : baisse de 4 points des prélèvements obligatoires, plafonnement des impôts prélevés sur un contribuable (impôt sur le revenu, ISF, taxe d’habitation, CSG-CRDS) à 50 % du revenu perçu (1), le tout financé par des gains de productivité dans la Fonction publique, par non-remplacement d’un départ en retraite sur deux.
Commençons par les baisses d’effectifs : entre 2007 et 2011, 20 % des effectifs de fonctionnaires au service de l’Etat vont atteindre 60 ans et, pour la plupart d’entre eux, l’âge de départ en retraite. Soit environ 380 000 personnes, dont 170 000 enseignants. L’annonce sarkozyenne implique donc une réduction moyenne des effectifs de 38 000 fonctionnaires chaque année, dont 17 000 enseignants. Alors que les effectifs de l’enseignement préélémentaire et primaire vont augmenter de plus de 5 % durant cette période ? Et que l’Université française a un des taux d’enseignants parmi les plus bas des pays de l’OCDE ?
Ce n’est pas tout. Voilà quelqu’un qui est soutenu fortement par Thierry Breton, qui ne manque pas une occasion de souligner la situation calamiteuse des finances publiques et la nécessité impérieuse de réduire le déficit et le poids de la dette publics, et qui, tout à coup, oublie tous ces discours alarmistes pour annoncer, benoîtement, qu’il va « rendre » « 2 000 euros (…) aux Français par foyer et par an, y compris les retraités, et 4 900 euros par foyer si on s’en tient à la France qui travaille ».
Démagogie ? On peut s’interroger. Car, s’il est vrai que la baisse prévisible du chômage va réduire d’autant les dépenses de l’assurance chômage (mais pas forcément ses prélèvements, vu l’ampleur du déficit cumulé de l’Unedic, aux alentours de 13 milliards d’euros), les autres postes de la protection sociale, déjà dans le rouge (retraites, santé) ou en voie d’y être (familles du fait de la hausse des maternités, prestations dépendance en forte croissance) vont au contraire engendrer un besoin accru de financement. A moins que notre candidat ait oublié, dans son interview, d’évoquer les réductions de prestations que des recettes en baisse provoqueraient inéluctablement. Il est donc possible que, sur un feuillet qu’il ne parvenait pas à retrouver au fond de sa poche lorsque les journalistes du Monde lui ont posé la question, il y avait écrit, juste après « la France qui travaille », « puisque le gros de l’effort sera demandé aux retraités, au niveau de vie scandaleusement élevé au regard des difficultés des jeunes : je me propose donc de réduire les pensions en moyenne de 3 000 euros par an et par foyer ».
A moins que Nicolas Sarkozy, lorsqu’il parle des prélèvements obligatoires, pense en fait aux impôts. Et là, cela devient compréhensible. Le « bouclier fiscal » réduit à 50 % CSG incluse ? Taxe d’habitation et CSG-CRDS, cela représente environ 10 % du revenu. Pour les plus riches des riches, ISF et impôt sur le revenu représenteraient donc au maximum 40 % de leur revenu. C’est-à-dire le taux de la tranche la plus élevée de l’impôt sur le revenu. Ce qui revient à dire que l’ISF serait supprimé de facto. Non pas pour la veuve de l’Ile-de-Ré, mais pour M. Zacharias. Si l’on y ajoute la quasi-suppression des droits de succession prévue par notre candidat, inutile de faire un dessin.
Puis-je me permettre, Nicolas – j’ai pensé que votre admiration pour les Etats-Unis vous ferait apprécier cette familiarité si normale là-bas –, de vous citer quelques auteurs que j’apprécie. Saint Ambroise, d’abord. L’évêque de Milan écrivait au IVe siècle : « Le pain que tu gardes appartient à ceux qui ont faim, les vêtements que tu caches appartiennent à ceux qui sont nus et l’argent que tu enfouis est le rachat et la délivrance des malheureux. » Saint Thomas d’Aquin, ensuite, qui écrivait au XIIe siècle : « Les biens que certains possèdent en surabondance sont destinés, par le droit naturel, à secourir les pauvres. » Des théologiens, dites-vous ? Alors, un économiste pour terminer. Et pas des moindres, Charles Gide, qui fut aussi l’oncle d’André : « Personne ne devrait être exempt d’impôt (…). Quiconque fait partie d’une société doit tenir à l’honneur de payer sa cotisation, grande ou petite. »
(1) C’est ce qu’on appelle le « bouclier fiscal », qui vient d’être fixé à 60 % hors CSG par la dernière loi de finances.