Les fausses évidences d'une primaire ouverte au PS pour la présidentielle sont démontées par un militant socialiste, Vincent Labrunie (pseudonyme). La transposition au modèle français de recettes qui, même ailleurs, ne sont pas forcément concluantes, ne peut servir de boussole... (Va-t-on, par exemple, étendre aux élections locales le système de primaires à gauche ?) En revanche, organiser un projet est crucial !
Les cadres socialistes, alors que notre pays vit toujours une "grande crise" économique et approche de l'épreuve d'une pandémie, ont estimé crucial et urgent le débat sur le mode de désignation du candidat de gauche à l'élection présidentielle de 2012. S'il est regrettable que cette question envahisse la réflexion collective alors que l'absolue nécessité est l'élaboration d'un nouveau projet politique qui apaise les inquiétudes de nos concitoyens et leur donne envie de se projeter avec confiance dans le futur, il n'est pas possible de fuir ce débat, tant ses conclusions vont influer sur l'identité et le potentiel du PS.
Ce mode de sélection est une fausse bonne idée pour le PS,
voire même un piège stratégique. Quel est le principal argument des promoteurs
des primaires à gauche ? La dynamique électorale par les exemplarités, en
particulier celles de Romano Prodi, en Italie, et de Barack Obama, aux
Etats-Unis.
S'il est vrai que, lors des élections législatives de 2006,
les primaires à gauche permirent le leadership de Romano Prodi et la
constitution de L'Unione (regroupement de 25 partis politiques progressistes),
il faut se souvenir que la gauche gagna les élections à la Chambre des députés
par le score étriqué de 49,81 %, contre 49,74 % à la Casa della Liberta menée
par Silvio Berlusconi. En revanche, elle perdit les élections sénatoriales -
elles aussi au suffrage universel -, ce qui, en Italie, empêche de gouverner.
Les primaires n'entraînèrent donc pas une victoire décisive
et n'empêchèrent ni le gouvernement Prodi de tomber au bout de deux ans, ni
Silvio Berlusconi de reprendre la présidence du conseil après les élections
législatives anticipées de 2008 qu'il remporta contre un leader de gauche, lui
aussi choisi lors de primaires, Walter Veltroni.
Venons-en maintenant aux Etats-Unis et à Barack Obama. Les
primaires démocrates contribuèrent, certes, à une dynamique Obama... mais des
primaires républicaines avaient fait de même pour George W. Bush en 2000, etc.
! Ce mode de sélection des candidats, consubstantiel au système politique
américain, ne constitue en rien un avantage concurrentiel pour l'un ou l'autre
des camps. Ce qui fit l'originalité stratégique et opérationnelle de la
campagne de Barack Obama fut la compréhension des dynamiques contemporaines du
militantisme, avec le déploiement des potentiels de l'Internet, du marketing
politique viral et du versement de dons "online" comme nouvelles armes.
Un contresens américain ajouté à une exemplarité italienne
bien pauvre donnent des fondements peu solides à une nouvelle pratique
politique. Mais le plus inquiétant dans le raisonnement est l'intériorisation,
par des cadres socialistes, de l'incapacité à venir du PS à faire émerger en
son sein un leader choisi par ses militants et qui s'imposerait à toute la
gauche dans une stratégie de leadership ouvert.
Ce manque de confiance néglige quatre réalités politiques,
pourtant très favorables au Parti socialiste. Primo, plus de 20 millions de
Français ont voté au moins une fois pour un de ses candidats au cours de ces
dix dernières années, et seul l'UMP peut faire valoir de tels résultats et un
tel potentiel de fidélisation. Les autres partis politiques sont très loin et
ce n'est pas pour certains l'hirondelle d'une élection européenne qui pourra
faire leur printemps politique durable, ainsi que les résultats de ces
élections le démontrèrent dans le passé (où est le PRG ex-MRG qui fit plus de
12 % des voix aux européennes de 1994 ?).
Secundo, le PS est le deuxième parti politique français en
nombre d'élus et de militants, loin devant les suivants ; la stratégie des
primaires à gauche néglige leur capacité d'entraînement lors des campagnes
électorales - les socialistes savent gagner - et fait courir le risque de leur
démotivation (militer fidèlement pour avoir un rôle banalisé au moment crucial
des investitures ?) ou de leurs inquiétudes (les primaires à gauche vont-elles
se décliner lors des scrutins locaux ?).
Tertio, le PS est un parti politique leader et généraliste,
fort d'une expérience de gouvernement et apte à proposer une offre politique
dans tous les domaines de la chose publique,
Enfin, depuis 1965, les candidats élus président de la
République ont été sélectionnés au sein de leur propre parti, ce qui favorise
une dynamique de premier tour par l'énergie partisane concentrée, puis une
dynamique de deuxième tour par une logique d'alliances autour d'un leadership
clair.
Ajoutons que l'ambition personnelle des leaders des partis
et le système public de financement de la politique poussent à la diversité des
candidatures de premier tour aux élections nationales, des primaires
inter-partis n'ayant pas la force légitimiste et rassembleuse d'une investiture
intraparti. L'Union de la gauche ou la gauche plurielle ont-elles évité la
multiplicité des candidatures ?
Les primaires ne renforcent pas les chances de victoire à la
présidentielle de 2012 mais contribuent à l'affaiblissement du PS par la
réduction de sa capacité de leadership perçu par les électeurs, sympathisants
et militants, par l'augmentation du pouvoir de ses partenaires dans une
alliance et par la complexification des lignes de communication de gauche en
phase de bataille électorale.
Alors que Nicolas Sarkozy met en place un dispositif pour 2012 centré sur une UMP en perpétuelle professionnalisation selon des méthodes de management et de marketing modernes, le Parti socialiste devrait se concentrer sur la définition d'une offre politique exaltante qui, seule, pourra lui permettre de créer une dynamique électorale et donc un rapport de force adapté au besoin d'un leadership clair à gauche. Sans celui-ci, aucun candidat socialiste ne pourra raisonnablement avoir de chances à la prochaine élection présidentielle, alors que nos concitoyens auront de bonnes raisons de vouloir un chef d'Etat fort et protecteur et perçu comme tel./.
Vincent Labrunie est le pseudonyme d'un dirigeant de service
public, membre du PS, soumis au devoir de réserve.