Tribune de Didier Migaud, président (PS) de la commission des finances, publiée dans Le Monde du 30 Janvier 2008.
Trois constats ressortent des études officielles : les inégalités augmentent, la redistribution est de moins en moins effective, et le pouvoir d'achat est remis en question. L'improvisation dans laquelle, en fin d'année 2007, le gouvernement a présenté un texte sur le pouvoir d'achat, six mois après avoir voté un paquet fiscal censé à l'époque régler le problème, démontre la difficulté de la majorité à apporter des réponses efficaces.
Alors que les inégalités s'étaient plutôt réduites entre 1996 et 2002, elles tendent aujourd'hui à s'accroître. Le portrait social réalisé par l'Insee comme l'étude de l'Ecole d'économie de Paris le confirment : les inégalités de salaires, de patrimoine et de revenus s'accentuent. La redistribution de notre système fiscal s'affaiblit. C'est la conséquence directe des politiques budgétaire et fiscale conduites depuis 2002 : la baisse des impôts progressifs a davantage profité aux ménages les plus aisés, alors que les prélèvements proportionnels ont augmenté et que les prestations bénéficiant aux plus modestes ont stagné.
Le pouvoir d'achat évolue lui-même défavorablement. Le gouvernement le confirme, en prévoyant une progression plus faible en 2008 qu'en 2007, malgré les mesures votées cet été.
Face à ce constat, il est des évidences qu'il convient de rappeler. Pour commencer, la capacité à influer sur le pouvoir d'achat dépend largement des politiques économique, industrielle, budgétaire et fiscale que l'on mène. Suivant ces politiques, les résultats varient. Pour échapper à leur lourde responsabilité en la matière, le président, le gouvernement et la majorité en appellent, une nouvelle fois, aux 35 heures. Mais huit ans après le vote de la première loi sur les 35 heures, comment considérer que cette mesure puisse servir d'alibi aux mauvais résultats de ceux qui sont au pouvoir depuis six ans maintenant ?
On peut faire et refaire le bilan des 35 heures. Les chiffres démentent les affirmations péremptoires. Si des accords particuliers ont pu se révéler parfois défavorables à certains salariés, si la négociation n'a pas toujours été menée dans les meilleures conditions, si une part assumée de modération salariale était bien présente, il reste que la période de mise en oeuvre des 35 heures s'est accompagnée de créations d'emplois et d'une progression des salaires sans précédent et qui n'ont plus été observées depuis. Le salaire horaire ouvrier a progressé de 5,3 % et 4,2 % en 2000 et 2001 - le chiffre de 2000 étant le meilleur résultat de ces vingt-deux dernières années. Or ce taux n'a depuis jamais dépassé 3 % depuis 2002.
La continuité avec ce mauvais résultat est malheureusement la marque d'un pouvoir qui ne cesse de vanter la rupture. Les quelques mesures présentées en décembre 2007 sont l'illustration de cette continuité : remise en question des 35 heures comme chaque année depuis 2002, déblocage de la participation, comme en 2004 avec pour seul résultat que les Français concernés ont épargné massivement (à près de 80 % selon l'Insee) les sommes ainsi retirées des plans collectifs d'entreprise.
Comment ne pas s'interroger devant un gouvernement qui, après avoir distribué 15 milliards d'euros essentiellement au profit des plus aisés sans s'inquiéter de l'état de nos finances, vient affirmer trois mois plus tard que les "caisses sont vides". Comment accepter l'affirmation selon laquelle l'Etat n'aurait pas les moyens d'influer sur l'évolution des salaires, à travers le smic ? Ne nous y trompons pas : les propositions pour une véritable rupture existent, qui permettraient de retrouver une politique de pouvoir d'achat et de croissance au profit de tous les Français.
Conditionner strictement les allégements de cotisations sociales et la fiscalité à la politique salariale et d'investissement des entreprises est par exemple une nécessité. Le rappel à l'obligation de négociation régulière dans les branches est nécessaire mais insuffisant. Les allégements de l'impôt sur les sociétés ou de l'impôt sur la fortune (ISF) au nom de la concurrence fiscale et sans contrepartie sont coûteux et inefficaces.
L'absence de stratégie et le gaspillage des ressources fiscales et budgétaires risquent malheureusement de conduire à la poursuite d'une politique vouée à l'échec, qui s'accompagne aujourd'hui d'une multiplication de prélèvements nouveaux sur les ménages modestes et les classes moyennes : taxe sur les malades à travers des franchises sur les remboursements, taxe sur les poissons et autres produits de la mer pour aider les pêcheurs, taxe sur les téléviseurs et les matériels informatiques... Une telle prolifération de taxes nouvelles est-elle de nature à stimuler le pouvoir d'achat ? Il est permis d'en douter...
A l'inverse, l'urgence est de conditionner effectivement les plus de 30 milliards d'allégements de cotisations à la revalorisation des grilles de qualification, qui ne pourraient plus comporter de rémunérations inférieures au smic. L'urgence est aussi d'assurer, comme je l'ai proposé dans le cadre de la discussion budgétaire, l'application d'un bonus-malus pour les entreprises selon qu'elles réinvestissent leurs bénéfices ou les distribuent à leurs actionnaires. Depuis plusieurs années, je propose également que les distributions de stock-options ne soient autorisées qu'à condition que tous les salariés bénéficient de plans d'intéressement et de participation.
Au-delà de ces mesures, les socialistes ont des propositions concrètes et efficaces en faveur du pouvoir d'achat : doublement de la prime pour l'emploi, chèque transport obligatoire dans toutes les entreprises, bouclier logement pour proportionner les efforts de chacun à ses moyens, lutte contre la spéculation immobilière, abaissement de la fiscalité indirecte, et notamment de la TVA. Autant de mesures susceptibles d'avoir un impact positif sur le pouvoir d'achat pour le plus grand nombre.