Le parti communiste chinois fête en fanfare, ce 1er Octobre 09, les 60 ans de la "République" "populaire". A cette occasion, Mediapart publie un entretien avec l'avocat de l'écrivain chinois Liu Xiaobo, un des leaders de Tian An Men et l'initiateur de la Charte 08, aujourd'hui en prison.
>> Mediapart : Que pensez vous de la récente arrestation de Xu Zhi Yong, juriste et créateur de l'association de défense des droits civiques « GongMeng »?
Mo Shaoping : Le grand tort de Xu Zhi Yong, c'est sa jeunesse. C'est un avocat fougueux, ami des bloggeurs. D'ailleurs, sur le sien, il n'hésite pas à dénoncer ouvertement les abus de gouvernement. Il a été arrêté le 29 juillet pour fraude fiscale (puis libéré sous caution, ndlr), son association a été dissoute et la vingtaine d'avocats qui s'impliquaient bénévolement dans cette association indépendante du parti ont tous perdu leur licence.
C'est un vrai coup dur pour la profession. Simplement, Xu Zhi Yong n'a pas payé ses impôts parce qu'il estimait que les dons qu'il recevait (de l'université américaine de Yale, où Mo Shaoping donne régulièrement des séminaires, ndlr) devaient aller à des victimes du système et pas au système lui-même. Or lorsqu'on défend des sujets sensibles en Chine, il faut vraiment être irréprochable car tout est bon pour se faire coincer.
>> Quand avez-vous commencé à défendre des dissidents?
J'ai commencé ma carrière il y a 25 ans, en 1984 et je me suis vite intéressé aux dissidents, quand mes collègues de l'époque pensaient leurs causes perdues d'avance. Mais à côté de mon travail, je ne signe rien, je n'écris pas de livre, je ne laisse pratiquement aucune trace sur le web et je donne peu d'interviews à mon sujet. Vous savez, ce n'est pas être paranoïaque que de vous dire que je suis sur écoute, que l'on connaît mon agenda. En Chine, lorsqu'on est avocat d'affaires sensibles, que l'on s'intéresse aux droits de l'homme, alors il vaut mieux faire profil bas. Cela me permet de conserver ma liberté de circuler, de voyager. Cela dit, je ne serai pas surpris qu'on m'arrête un jour. J'ai envoyé ma fille faire des études à Hong-Kong. Elle souhaite les poursuivre aux Etats-Unis.
>> Pourtant, comme Xu Zhi Yong, vous avez signé la Charte08, un manifeste pour la démocratie. Celui-là même qui a envoyé Liu Xiaobo en prison, en attendant l'ouverture de son procès.
J'ai signé ce texte parce que Liu Xiaobo est un ami personnel et que j'estime son combat juste. C'est un écrivain, un sage et non pas un dangereux activiste comme les médias officiels le présentent. Son texte vise notamment à trouver les moyens de garantir l'indépendance de la justice en Chine. Pour ma part, j'ai connu l'existence de cette charte bien avant sa sortie en décembre dernier. Dès mars 2008, j'ai été invité à donner mon avis et nous avons discuté longuement avant de présenter la charte qui à l'époque portait un autre nom. Cela s'appelait sobrement « Texte Politique ».
Ce n'est pas un texte de dissidence mais un document sérieux rédigé par des citoyens chinois, vivant en Chine et qui désireux d'améliorer leur pays. D'ailleurs pour moi, cela ne fait aucun doute : la Chine deviendra un pays démocratique. Lorsqu'on voit les manifestations de masse se développer un peu partout, le flux constant de pétitionnaires à Pékin, on constate que de plus en plus de gens ont soif de justice et veulent être entendus.
>> Peut-on considérer que la justice chinoise est menacée ?
Malgré ce besoin croissant de justice et d'équité, tout le monde sait en Chine que notre justice n'est pas indépendante mais au service du Parti. N'importe quel juge, s'il est honnête, va aussi admettre cet état de fait. Cet été, un juge de la Cour Suprême Populaire à la retraite a même déclaré que notre justice était guidée par le parti et que ses priorités était premièrement le parti, deuxièmement les droits du peuple et enfin, le strict respect de la loi.
En réalité, notre justice subit chaque jour un peu plus d'attaques de la part du gouvernement, les juges sont à la botte du parti et maintenant ce sont les avocats. Les espoirs suscités par les Jeux Olympiques ont disparu très vite. N'est ce pas la ministre de la justice Wu Qiying qui a déclaré, le 08 août, qu'il fallait offrir davantage d'apprentissage communiste aux jeunes avocats ? Sur les 14 000 cabinets en Chine, 11 000 ont des avocats membres du parti. Les autres sont désormais fortement incités. Pas chez nous : ici, le cabinet compte 20 avocats expérimentés et intègres. Nous avons une antenne à Dalian avec 10 avocats. L'un d'eux, un ancien camarade de fac, a été juge auparavant. Je peux vous dire qu'il est soulagé d'avoir changé de camp.
>> Votre travail d'avocat est-il menacé par ces « attaques du gouvernement » que vous dénoncez?
D'abord, je ne peux pas voir qui je souhaite. Le 02 juin, des policiers sont venus à mon cabinet pour me dissuader de ne pas rencontrer le nouvel ambassadeur de Suisse puis un ministre allemand de passage à Pékin. Mon téléphone est sur écoute, peut-être ma messagerie, ce qui permet à la police de bien maîtriser mon agenda. A l'approche de la fête nationale, le 1er octobre, j'ai reçu plusieurs appels pour me demander très poliment de me tenir discret (rires). J'ai découvert ce phénomène pendant les Jeux Olympiques, autour du et cela continue aujourd'hui.
Ensuite, j'ai pu constater que la loi pouvait encore être bafouée après l'arrestation d'un individu. A la publication de la Charte, l'écrivain Liu Xiaobo a été envoyé dans un lieu tenu secret, sans raison légale. Il y est resté six mois. Depuis juin, il est officiellement arrêté pour « subversion » et sa détention provisoire vient encore d'être prolongée de deux mois. Je suis son avocat et je ne peux toujours pas le voir, à la demande des policiers. Tout cela est illégal mais les policiers s'en moquent. Un commissaire m'a juste dit que je devais comprendre que le cas de Liu était « un peu spécial ».
En ce moment, je défends Huang Qi, un bloggeur accusé de « possession illégale de secrets d'Etat » et emprisonné depuis le mois de juin pour avoir critiqué sur son blog la distribution de l'aide humanitaire aux victimes du séisme du Sichuan. En dépit de la loi chinoise, la police de Chengdu m'interdit de le visiter. Je ne parle même pas de Tan Zuoren, l'autre bloggeur qui enquête sur la mort des écoliers dans le séisme. La police a empêché un témoin en sa faveur (l'artiste trublion Ai Wei Wei a été frappé par la police) de venir à la barre. Les temps sont durs pour les militants des droits de l'homme. Et lorsqu'ils sont inquiétés, la police s'intéresse maintenant à l'origine des fonds qui permettent de financer leur défense. Je ne veux pas savoir comment sont payés mes honoraires, c'est ma règle.
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L'entretien s'achève. Mo Shaoping sort de son tiroir une liasse de cartes de visites - « mes soutiens occidentaux » - et tend la sienne, sur laquelle figure l'allégorie de la justice : une femme aux yeux bandés, portant un glaive. Puis il s'attarde sur la longue toile tendue sur un mur de son bureau, près de l'aquarium. Une image peinte à l'encre noire, celle d'un avocat fier, le torse bombé. « C'est un beau cadeau d'un ami artiste, peint avec les doigts, il y a dix ans». Sur le mur d'en face, son diplôme d'avocat - major de sa promotion- et sa licence soigneusement encadrés./.