Tribune de Claude Bartolone, Liberation.fr du 2 Janvier 2008.
Le Grand Paris, pourquoi pas, mais pour quoi faire ? Ce qui est d’abord en jeu, ce sont les inégalités territoriales et sociales qui n’ont cessé de se creuser ces dernières années dans la région capitale et en son cœur, tout particulièrement. Le revenu moyen après impôts des foyers fiscaux de Seine-Saint-Denis a diminué de 3,5 % en euros constants entre 1984 et 2004 tandis qu’il augmentait de 21 % en Ile-de-France et de 41 % à Paris. Les foyers fiscaux parisiens déclarent un revenu après impôts supérieur de 69 % à celui des foyers de Seine-Saint-Denis en 2004, alors que l’écart n’était que de 16 % en 1984.
Face à ces évolutions une deuxième série de disparités viennent freiner aujourd’hui toute velléité de correction des premières, ce sont les inégalités de ressources entre les territoires. Les écarts de potentiel fiscal varient de 1 à 7,5 entre communes d’Ile-de-France. Les départements de Paris et des Hauts-de-Seine concentrent 47 % des bases de taxe professionnelle de l’Ile-de-France contre 17 % pour le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis.
Pendant ce temps, les richesses produites par l’Ile-de-France ont progressé sans cesse, fort heureusement. Certes, ce phénomène de métropolisation, en concentrant les industries et les services les plus performants, les centres universitaires et de recherche d’excellence sur les mêmes lieux, accentue ces disparités. Nous savons malgré tout qu’il serait vain et dangereux de freiner ce processus de métropolisation car nous sommes engagés dans une compétition internationale entre villes. Pour autant, pas question de renoncer, pas question de laisser faire les seuls mécanismes du marché. Les violences urbaines de 2005 nous ont rappelé que la juxtaposition de zones de richesses et de territoires de grande pauvreté n’est pas tenable à terme. Au bout de toutes les explications, chacun doit reconnaître, sans aucune complaisance, ni justification d’une violence inacceptable, que ces événements de 2005 comme ceux plus récents de Villiers-le-Bel ont été une nouvelle fois la manifestation d’une profonde crise sociale.
Alors, que faire ? Un préalable, le débat démocratique. Il ne faudrait pas que la majorité politique nationale du moment veuille imposer une organisation qui ne recueillerait pas un large consensus. Le débat sur l’avenir de l’agglomération parisienne ne doit pas servir de masque à une opération visant à installer une domination durable de la droite sur le cœur politique du pays.
Constatons aussi que la relance de l’idée du Grand Paris intervient dans une géographie politique loin d’être figée. Depuis plusieurs années, nombre de territoires de projets se sont organisés en Ile-de-France. La ville de Paris comme la région d’Ile-de-France ont joué le jeu. Faut-il cependant aller plus loin ? Pourquoi pas, si la question institutionnelle est abordée avec le souci de mieux répondre aux enjeux de vie quotidienne des habitants d’Ile-de-France. La voie avancée par certains de la création d’une communauté urbaine du Grand Paris est, dans cette perspective, loin d’être évidente. Il apparaît ainsi clairement que le niveau régional est le plus pertinent pour les transports. De même, pour ce qui relève de l’aménagement de l’espace, à quoi peut servir un niveau supplémentaire entre la région et la commune, sauf à franchir un nouveau pas décisif, transférer le droit des sols, le permis de construire, à un pouvoir métropolitain. Sommes-nous prêts à cette révolution qui ôterait aux maires leur responsabilité majeure ?
Enfin, la politique de l’habitat. Force est de constater que construire des logements à des prix abordables pour une majorité de nos concitoyens, c’est d’abord une question de volonté politique et de mobilisation de moyens financiers. Or, la droite n’a pas su répondre depuis 2002 à la crise majeure que nous connaissons. Faisons déjà appliquer, partout en Ile-de-France, avec rigueur, l’obligation de 20 % de logements sociaux dans toutes les villes, que j’avais fait voter au Parlement il y a sept ans. Ainsi, nous voyons bien que la création d’une communauté urbaine de Paris métropole n’est pas la solution miracle.
Dans l’immédiat, favorisons plutôt les projets communs qui débouchent sur un développement durable, donc plus équilibré et plus solidaire. Ainsi, et alors même que la deuxième vague de décentralisation a confié aux conseils généraux des responsabilités majeures dans la politique de solidarité, pourquoi ne pas créer dès demain, un pot commun de toutes les ressources financières des collectivités locales et au delà, fédérer les quatre départements de l’agglomération parisienne en une seule entité, autour de ces enjeux de solidarité ?