Tribune de Philippe Marlière, maître de conférences en sciences politiques à University College London, publièe dans l'Humanité, du 12 janvier 2008.
Comment le Parti socialiste peut-il éviter le piège que tend Nicolas Sarkozy sur l’Europe ?
Dans une lettre du 7 juin 2005 envoyée à tous les adhérents du Parti socialiste, François Hollande écrivait : « Le 29 mai, les Français ont voté "non" au traité constitutionnel.
Nous devons en prendre toute la mesure, dès lors que notre électorat s’est séparé de nous sur cette question. » Le projet socialiste adopté avant l’élection présidentielle entérinait cette résolution : « Nous proposons l’élaboration d’un traité strictement institutionnel (…). Une fois renégocié, un tel traité sera soumis au peuple par référendum. » Le pacte présidentiel de Ségolène Royal confirmait cet engagement : « Négocier un traité institutionnel soumis à référendum pour que l’Europe fonctionne de manière plus démocratique et plus efficace. »
Sans même attendre son adoption à Lisbonne, le bureau national du PS a endossé le traité modifié européen (TME). Pourtant, Valéry Giscard d’Estaing estime que dans le TME (le Monde, 26 octobre 2007), « les outils sont exactement les mêmes (que ceux du traité constitutionnel). Seul l’ordre a changé dans la boîte à outils ». L’ex-président de la convention européenne note que l’expression « concurrence libre et non faussée », retirée à la demande de Nicolas Sarkozy, a été reprise dans un protocole annexé au TME. Et Giscard de conclure que le TME est le fruit d’une « subtile manoeuvre » des « institutions bruxelloises » pour « éviter le recours au référendum ». Pourtant, une très large majorité de citoyens britanniques, français, italiens, espagnols, allemands souhaite un référendum (sondage du Financial Times, 22 octobre 2007). Les gouvernements européens n’en veulent pas car ils craignent que le nouveau traité soit de nouveau rejeté par les peuples. Nicolas Sarkozy l’a candidement reconnu à des journalistes européens (Daily Telegraph, 15 novembre 2007).
Le Congrès du Parlement sera convoqué à Versailles pour adopter le traité le 4 février 2008. En votant « non », l’ensemble des députés et des sénateurs socialistes peuvent contraindre Sarkozy à organiser un référendum car il n’obtiendrait pas les trois cinquièmes des suffrages nécessaires pour la modification préalable de la Constitution française. Ce « non » de la gauche (avec l’appui de huit voix à droite) forcerait Sarkozy à recourir au référendum, officiellement souhaité par Solferino.
Les choses sont mal engagées : le 8 janvier, Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l’Assemblée, a annoncé que les parlementaires socialistes boycotteront le vote à Versailles. Cette position, confirmée par Hollande, n’a fait l’objet d’aucune discussion préalable au sein du conseil national et des groupes parlementaires concernés. Il s’agit ni plus ni moins d’un coup de force des « pro-traité » du PS. Ayrault explique que le PS ne peut défendre la révision, car il est favorable à « la voie référendaire plutôt que la voie parlementaire ». Qui croira une telle tartufferie ? Car ce boycott, s’il a lieu, rendra inéluctable la révision de la Constitution. Il garantira ensuite la ratification du traité par l’Assemblée et le Sénat, dominés par la droite. En clair, tout socialiste qui boycottera le vote, le 4 février, consentira de fait à la révision constitutionnelle et s’opposera à la consultation référendaire. Il n’est pas excessif de parler dans ces conditions de trahison (de l’électorat de gauche, de l’exercice de la souveraineté populaire) et de désertion (du combat politique contre le sarkozysme). Le 15 janvier, nos tartuffes socialistes soutiendront pourtant la proposition de loi du PCF demandant à ce qu’un référendum soit organisé pour l’adoption d’un traité contenant des dispositions similaires au traité rejeté en 2005 ! Le 6 février, ils défendront, lors de l’examen du projet de loi de ratification du traité à l’Assemblée, une motion demandant que le traité soit adopté par le biais d’un référendum !
La duplicité solférinesque doit être défaite par les socialistes eux-mêmes. Car le boycott du PS discréditerait pour longtemps un parti qui jusqu’à présent s’est montré incapable de s’opposer au sarkozysme. Soixante et un parlementaires socialistes se sont engagés à voter contre la révision constitutionnelle et ont signé l’appel du Comité national pour un référendum. Ce n’est qu’un début. Aucune voix de gauche ne doit manquer le 4 février.