Tribune publiée dans Le Monde du 28 Janvier 2008.
Comme il l'avait fait avec les imams lors des émeutes dans les banlieues en 2005, Nicolas Sarkozy prône la présence des religions dans le champ politique pour pacifier les tensions sociales aggravées par sa politique. Après avoir tenté d'ethniciser la question sociale, il essaie aujourd'hui de la confessionnaliser.
En survalorisant l'appartenance religieuse par rapport à l'appartenance à la nation républicaine, il contribue un peu plus chaque jour à communautariser notre société. En hiérarchisant les monothéismes, il instille un ferment de division supplémentaire, comme il l'a déjà fait entre Français et immigrés, ou entre salariés du public et du privé.
En déclarant que, dans l'apprentissage des valeurs, "jamais l'instituteur ne pourra remplacer le pasteur ou le curé" et que la morale laïque "risque toujours de s'épuiser", le chef de l'Etat tente de discréditer la laïcité et l'école républicaine, son lieu d'expression historique. Cela revient à affirmer la supériorité de la foi sur la raison. Cette dérive doit être refusée catégoriquement. Foi et raison relèvent de deux domaines distincts. C'est cela l'intuition fondamentale de la laïcité. Les valeurs républicaines transmises par l'instituteur sont la condition du vivre ensemble. Héritée des Lumières, la morale laïque est une étape essentielle dans la construction d'un individu autonome et d'un citoyen libre et éclairé.
Voilà pourquoi le principe de laïcité et la loi de 1905 ne peuvent donner lieu à aucun compromis. La laïcité n'est pas amendable, elle n'a pas à être "ouverte" ou "positive". Les jeux rhétoriques autour du terme de laïcité masquent mal la volonté du président de restaurer une certaine confusion entre Etat et religion.
Les valeurs républicaines restent le remède aux tensions que nous connaissons actuellement. Seul le respect de la loi de 1905 peut constituer une garantie face au mouvement d'atomisation de la société. La laïcité n'est pas une contrainte, mais un instrument essentiel d'émancipation et de libération. Pour justifier ses attaques contre la loi de 1905, Nicolas Sarkozy prend notamment pour prétexte la nécessité de donner aux musulmans de France la possibilité d'exercer dignement leur culte. Quel paradoxe, si l'on se souvient des "moutons égorgés dans la baignoire" et de ses autres dérapages !
Puisque cette question de l'islam est posée, nous devons y répondre avec clarté. Non, il n'y a pas plus ni moins d'incompatibilité entre l'islam et la République laïque qu'entre les autres religions et la République ! Il n'y a pas d'incompatibilité dès lors que la République installe un cadre rigoureux, dès lors qu'elle ne transige pas sur ses principes fondateurs. La loi sur les signes religieux à l'école en constitue le meilleur exemple.
RÉVISION DANGEREUSE ET INUTILE
Les conditions dans lesquelles les musulmans de France peuvent pratiquer leur culte sont trop souvent indignes et doivent indéniablement être améliorées. Mais cet effort ne nécessite pas une révision des principes de 1905, qui serait dangereuse et inutile.
Dangereuse, puisqu'elle signifierait une porte ouverte à divers mouvements obscurantistes ou sectaires. Inutile dans la mesure où la puissance publique dispose d'ores et déjà des moyens politiques et juridiques nécessaires pour donner aux musulmans les mêmes droits qu'aux autres croyants. S'il est souvent difficile de construire une mosquée, ce n'est pas parce que le cadre juridique serait trop restrictif, mais par défaut de volonté politique. Ce sont d'ailleurs souvent les élus de droite qui refusent d'accorder les permis de construire pour les mosquées.
La diversité et l'acceptation de l'islam sont le test de crédibilité de notre République laïque, qui doit pouvoir concilier les termes du triptyque République, laïcité, égalité. La République n'est pas seulement une forme de régime politique. Elle est un ensemble de principes, de valeurs. Elle est surtout un projet. Affirmer que la République a besoin de croyants convaincus, c'est nier la valeur de ce projet.
La République n'a pas besoin de croyants pour exister, elle a besoin de citoyens égaux qui bâtissent ensemble leur avenir. L'espérance n'appartient pas aux seules religions. La République elle-même est la plus grande de nos espérances : espérance dans nos valeurs et notre projet commun, espérance dans la justice sociale, espérance dans un monde meilleur, ici et maintenant.
Bariza Khiari, sénatrice de Paris, membre du bureau national du Parti socialiste
Jean-Pierre Michel, Sénateur (PS) de la Haute-Saône