Entretien avec Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme, réalisé par Lionel Venturini dans Humanité.fr du 26 Mars 2007
En matière de libertés, le bilan de Nicolas Sarkozy s’inscrit, dites-vous, dans une certaine continuité.
Jean-Pierre Dubois. On ne peut pas dire que Nicolas Sarkozy ait véritablement inventé des régressions de libertés parce que ce qu’il a poursuivi et aggravé, comme la manière d’utiliser la police qui, elle, ne passe pas par le Parlement, relève de tendances anciennes. Le recul des libertés face au sécuritaire existe au moins depuis le début de la crise sociale du début des années soixante-dix, avec la loi sécurité-liberté d’Alain Peyrrefite. Simplement, depuis cette époque, il y a eu des coups d’accélérateur, quelques coups de frein aussi, la gauche a tenté à quelques reprises de changer de direction, mais de manière incroyablement timide. Ce n’est donc pas nouveau et cela va dans le sens d’une évolution générale qui n’est pas propre à la France d’ailleurs. C’est aussi comme cela dans d’autres pays. Les attentats terroristes ont aidé beaucoup de gouvernements à légiférer en ce sens.
Pour autant, avec Nicolas Sarkozy, n’y a-t-il pas changement de nature avec la rupture prônée ?
Jean-Pierre Dubois. Le quantitatif finit effectivement par faire changer de nature l’évolution des lois. L’accumulation de lois fait que toute la société a glissé. La droite peut reprendre sans aucun problème des thématiques qui étaient l’apanage auparavant de l’extrême droite. Il y a cinq ans, mêler immigration à identité nationale était impensable pour un homme politique, fut-il de droite. Le résultat de ce " quantitatif ", c’est que la droite glisse vers l’extrême droite, tandis qu’une partie de la gauche glisse à droite aussi dans ce domaine. La stratégie de Nicolas Sarkozy d’aller vers le FN pour le réduire ne fait qu’en augmenter l’influence culturelle. L’emploi du terme de " droit de l’hommisme ", forgé au sein du GRECE, laboratoire d’idées de l’extrême droite, c’est le symbole de cela. Nicolas Sarkozy a été un excellent relais du FN depuis cinq ans. Grâce à lui, et à la chaîne gouvernementale qui remonte jusqu’à Jacques Chirac, on peut dire que l’essentiel du programme du FN de 2002 a été mis en oeuvre dans deux domaines : la restriction des libertés et l’obsession de la chasse à l’étranger. Même si M. Le Pen fait à cette élection un score moins bon qu’il y a cinq ans, les idées de M. Le Pen feront un meilleur score qu’il y a cinq ans. C’est ça, le vrai bilan de Nicolas Sarkozy