Avec la droite, à chaque élection, c'est la même histoire qui recommence. De belles paroles dont on sait déjà qu'elles ne seront pas suivies d'actes. Lutter contre "la fracture sociale" (Chirac-Juppé, 1995), s'occuper de la "France d'en bas" (Chirac-Raffarin,2002), promouvoir la "croissance sociale" (Chirac-Villepin, 2005) : le vocabulaire change, mais la politique menée est toujours la même. Dure pour les plus fragiles, douce pour les plus aisés.
Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy, lorsqu'il dit vouloir s'adresser aux classes populaires et cite avec insistance Jaurès et Blum, use des mêmes ficelles que ses prédécesseurs. On ne change pas une recette qui marche : ne pas dire ce que l'on va faire, ne pas faire ce que l'on a dit. Puisque les discours des ténors de l'UMP ne sont que des propositions de campagne sans lendemain, le plus sage pour connaître le vrai projet de la droite est encore de regarder son bilan. Et s'il est un terrain sur lequel l'inventaire doit avoir lieu, c'est bien celui du chômage, priorité des Français.
En 2002, la France avait tous les atouts en main pour marquer des points décisifs contre le chômage. Entre 1997 et 2002, les arrivées sur le marché du travail (les jeunes) dépassaient de 200 000 les départs (les retraités). Désormais, le départ en retraite des générations du baby-boom a changé la donne : les départs et les arrivées sur le marché du travail s'équilibrent.
Là où hier il fallait créer 200 000 emplois par an avant de faire baisser le chômage, celui-ci recule aujourd'hui quasiment dès le premier emploi créé. Autrement dit, si la droite avait créé 2 millions d'emplois comme nous l'avons fait entre 1997 et 2002, nous aurions aujourd'hui un taux de chômage parmi les plus bas d'Europe. Au lieu de cela nous avons eu : un chômage au même niveau qu'il y a cinq ans, là où nous l'avions fait baisser de 900 000 ; des créations d'emplois minimes (60 000 par an depuis 2002 contre 400 000 par an entre 1997 et 2002) ; une croissance molle (1,5 % par an depuis 2002, contre 3 % entre 1997 et 2002) ; une hausse de la précarité, là où nous avions enclenché la baisse du nombres de personnes touchant le RMI, réduit le temps partiel subi et la pauvreté ; un pouvoir d'achat laminé par les hausses de prix, là où les plus bas salaires avaient eu, en plus de la réduction du temps de travail, l'équivalent de deux mois de salaire en plus.
Bref : cinq années pour rien. Et encore il ne s'agit là que des résultats affichés par le gouvernement lui-même ! La réalité est plus grave : beaucoup de chômeurs disparaissent des fichiers de l'ANPE sans aller vers l'emploi ; les durées d'indemnisation ont été réduites (de 30 à 23 mois), basculant de nombreux chômeurs sur le RMI (+ 200 000 depuis 2002) ; et les radiations administratives ont explosé depuis 2002 (+ 40 %), ce qui est une utilisation dévoyée d'un outil pourtant légitime pour sanctionner les chômeurs qui ne recherchent pas réellement du travail.
Peut-on y voir plus clair ? Il suffit d'interroger les Français sur leur situation réelle et non administrative. C'est ce que fait l'Insee à chaque début d'année. Or, de façon stupéfiante, le gouvernement a décidé de ne pas publier cette enquête, qui aboutirait, semble-t-il, à un chômage à 9,1 %, là où l'indicateur officiel affiche 8,6 %. Notre démocratie exige la transparence de l'information. Nous exigeons la publication des résultats de l'enquête de l'Insee avant les élections. Nous n'avons pas tout réussi entre 1997 et 2002. Mais n'acceptons pas que droite et gauche soient renvoyées dos à dos. L'emploi était notre priorité et nous avons eu des résultats. Nous aurions bénéficié, entend-on dire souvent, d'une meilleure croissance.
C'est faux. La croissance mondiale a été plus importante depuis 2002 (4,3 % par an) que lorsque nous étions aux responsabilités (3,4 %). Les 3 % de croissance de 1997-2002 ne sont pas tombés du ciel ; nous avons su rétablir la confiance, soutenir le pouvoir d'achat des plus modestes, qui sont aussi ceux qui consomment le plus, et multiplier les créations d'emplois (350 000 emplois-jeunes, 500 000 liés aux 35 heures), qui elles-mêmes ont alimenté la consommation et la croissance et en retour l'emploi. C'est ce que les économistes ont appelé un "cercle vertueux" emploi-consommation-croissance-emploi-consommation... Dit autrement, nous avons, avec Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn, mené ensemble une vraie politique économique, fondée sur l'idée simple et juste que le social n'est pas l'ennemi de l'économie, mais qu'au contraire l'un et l'autre se renforcent mutuellement.
La droite elle, depuis vingt ans, ne fait pas de l'économie, mais de l'idéologie. Pour la droite, le travail est toujours trop cher et trop protégé. Le jour de travail sans salaire (lundi de Pentecôte), la suppression des mesures antilicenciement, la baisse des majorations d'heures supplémentaires, les hausses du SMIC cantonnées au minimum, le travail en apprentissage à 14 ans y compris la nuit et, dernier avatar, le licenciement sans motif avec le contrat nouvelle embauche (CNE) : toutes ces mesures prises depuis 2002 procèdent de la même logique libérale de dérégulation du marché du travail, dont l'impact sur l'emploi n'a jamais été établi. Le CNE en est le parfait exemple : 800 000 contrats signés, vraisemblablement aucun effet sur l'emploi, les CNE ayant pris la place de CDD et de CDI. Même le Medef n'en concède que 40 000 ! Et combien de vies fragilisées par cette précarité extrême ? Sans le mouvement des jeunes du printemps 2006, ils seraient maintenant en CPE, eux qui déjà subissent les stages non rémunérés que le gouvernement n'a rien fait pour empêcher.
Pour la droite, c'est le chômeur qui est responsable du chômage. Pas assez servile, pas assez mobile, pas assez intéressé. Pas assez motivé aussi : quand le candidat de l'UMP dit vouloir "parler à la France qui se lève tôt", ne dit-il pas la même chose que Jean-Pierre Raffarin qui regrettait en 2003 "que la France ait perdu l'habitude de se lever tôt", ou que François Fillon, qui, alors ministre du travail, mettait la défaite de 1939 sur le dos des congés payés de 1936 ? Les Français apprécieront. Mais, sincèrement, penser qu'avec les 35 heures ils se tournent les pouces est, je crois, méconnaître la réalité de la vie des Français, où dans les couples les deux travaillent et enchaînent deux journées, professionnelle et domestique.
Non, la cause du chômage est beaucoup plus simple, c'est le manque d'emplois. Valoriser le travail, n'en déplaise à Nicolas Sarkozy, c'est d'abord en retrouver un à ceux qui n'en ont pas. Et pour créer des emplois, il faut retrouver la croissance par une politique économique, industrielle et monétaire digne de ce nom, qui devra être menée tant en France qu'au niveau européen. Il faut aussi "aller chercher" les emplois de demain, ceux de l'économie de la connaissance, de l'environnement, mais aussi du "mieux-vivre" (santé, culture, sport, solidarité...).
Ne commettons pas l'erreur de penser que, en laissant le marché livré à lui-même, ces emplois-là verront le jour. Le marché est plus que jamais dominé par une vision financière à court terme. Les entreprises doivent retrouver une logique de projets à moyen et long terme et une distribution des profits faisant toute leur place aux salaires et à l'investissement. Nos propositions vont dans ce sens.
Avec notre candidate, Ségolène Royal, nous voulons un vrai débat avec la droite. Un débat dans lequel celle-ci assume ses idées, mais aussi ses actes : le candidat de l'UMP est comptable du bilan des années 2002-2007, dont il a été l'un des principaux acteurs. Nous voulons redonner une vision à la France et l'espoir aux Français : le combat contre le chômage en est une condition./. Tribune parue dans Le Monde 9/2/07