Tribune du député européen dans Le Monde, suivie de son interview dans Libération, sur une première leçon à tirer du 6 mai.
Le résultat de l'élection présidentielle impose sans doute au Parti socialiste de repenser sa stratégie d'alliance. Mais, plus encore, il lui impose de se transformer lui-même .../...
Blog de l'auteur : http://www.henri-weber.fr/
Les partis de la "gauche radicale" et les Verts pèsent davantage que les scores lilliputiens qu'ils ont obtenus le 22 avril ; ils n'en traversent pas moins une crise profonde et durable. Le "mouvement démocrate" de François Bayrou se heurtera à l'"UDF maintenue", alliée à l'UMP au sein de la majorité présidentielle et au gouvernement. Il pâtira du scrutin majoritaire à deux tours, propre à nos institutions, qui lamine le centre et pousse à la bipolarisation gauche-droite.
Nous saurons le 17 juin ce que pèse réellement le nouveau parti de François Bayrou. Tout indique qu'il ne sera pas le parti central, pivot de toutes les recompositions, dont rêve son fondateur, mais bel et bien une force d'appoint. En tout état de cause, si la gauche s'ouvre aux électeurs du centre, ce ne saurait être sur la base du programme économique et social qu'a défendu François Bayrou au cours de l'élection présidentielle.
Reprenant le mot d'Eduard Bernstein (1850-1932, figure de la social-démocratie allemande qui prônait une "révision" du marxisme dans un sens réformiste), beaucoup exhortent le Parti socialiste à "oser enfin paraître ce qu'il est", comme si le PS ne s'assumait pas depuis longtemps comme un parti réformiste, rallié à la démocratie et à l'économie sociale de marché. Oserai-je soutenir que le problème principal du PS n'est malheureusement pas là, et qu'il est autrement plus ardu ? Plus que d'oser "paraître ce qu'il est", le PS doit oser enfin devenir ce qu'il n'est pas : un grand parti socialiste moderne, capable de recueillir par ses propres forces au moins 35 % des suffrages aux élections décisives, comme y parviennent la plupart de ses homologues en Europe. Il n'y a aucune fatalité qui condamne le PS français à osciller autour de 25 % des suffrages. C'est le cas du PSOE espagnol (42,6 %, le 14 mars 2004), du SPD allemand (34,3 %, le 18 septembre 2005), du SPO autrichien (35,7 %, le 1er octobre 2006), du SAP suédois (35,2 %, le 17 septembre 2006), du Parti travailliste norvégien (32,7 % le 12 septembre 2005), du Labour Party britannique (35,2 %, le 5 mai 2005).
Le Parti socialiste fut longtemps et reste encore un "parti d'élus entourés d'aspirants à l'élection", une machine électorale. Ses liens avec les syndicats et les grandes associations populaires sont traditionnellement lâches et se sont distendus encore. Sa capacité à agir sur l'opinion publique est faible, son aptitude à mobiliser et à organiser ses bases sociales est plus faible encore. Sa force principale réside dans son dense réseau d'élus locaux et nationaux.
Longtemps, ce fut le Parti communiste qui assumait les grandes fonctions qui incombent au parti dominant de la gauche dans nos démocraties salariales. La marginalisation irréversible de ce dernier assigne au PS la responsabilité d'occuper tout le champ de la gauche et d'assumer lui-même pleinement les fonctions de lutte idéologique, d'élaboration programmatique, de direction stratégique et d'association des citoyens aux décisions qui les concernent, nécessaires au bon fonctionnement de notre démocratie.
Pour la première fois depuis 1936, la mutation du PS, d'un parti d'élus de 120 000 adhérents à un authentique parti de masse, assumant toutes les grandes fonctions d'un parti réformiste moderne, est possible. Les socialistes sont-ils décidés à fournir l'effort nécessaire pour accomplir ce qui est bien plus qu'une simple rénovation ? Ou bien vont-ils chercher dans une illusoire "alliance au centre" le substitut à ce formidable effort sur eux-mêmes ? Telle est la question, au lendemain de cette défaite du 6 mai. Le PS doit intégrer les dizaines de milliers de nouveaux adhérents venus à lui à l'occasion de l'élection présidentielle et, pour cela, se doter de structures d'accueil efficaces : "sections locales à taille humaine", commissions thématiques, organismes associés. Il doit associer ses adhérents et ses sympathisants à l'élaboration de ses propositions, rajeunir, féminiser, différencier son corps militant. Etablir des liens étroits, à tous les niveaux, avec les syndicats de salariés et les associations progressistes.
Il doit perfectionner et systématiser le recours à l'Internet, pour sa communication, sa formation interne, son action politique et idéologique. Il doit pérenniser la pratique de la démocratie participative, expérimentée sur grande échelle dans la première phase de la campagne présidentielle. Sur le plan idéologique, le Parti socialiste doit assumer pleinement et fièrement son réformisme et mener, mieux qu'il ne l'a fait, la bataille contre "la pensée unique", conservatrice et libérale.
Les batailles politiques se gagnent d'abord dans les têtes, sur le terrain des valeurs et des idées, Nicolas Sarkozy vient d'en faire la démonstration. Le PS doit proposer aux salariés une représentation de la société et de son évolution qui leur permette de comprendre le monde nouveau dans lequel nous sommes entrés et d'y agir. Il doit élaborer des réponses plus convaincantes que celles qu'il a proposées au cours de la campagne présidentielle sur la reconquête du plein-emploi, la réforme des retraites, la préservation de notre système de santé, la maîtrise de la mondialisation...
Sa refondation doit être à la fois idéologique, programmatique et organisationnelle. Principal parti de gauche, le Parti socialiste doit se sentir responsable de l'évolution de toutes ses familles et travailler à les rassembler. Il doit s'efforcer de gagner à sa lutte contre la politique de régression sociale de Nicolas Sarkozy les démocrates sociaux qui se reconnaissent dans le "centre". Mais sur une plate-forme politique compatible avec son projet de société solidaire et d'approfondissement de notre démocratie. Mieux il réussira sa propre mutation, mieux il parviendra à rassembler toutes les forces de progrès.
Tribune publiée dans Le Monde, du 8 mai 2007 .
«Nous devons faire plus qu'une simple rénovation» Interview d'Henri Weber dans Libération du 8 mai
Quelle analyse faites-vous de la défaite de Ségolène Royal ?
C'est une défaite dure à vivre, d'autant que nous avions de nombreux atouts en main, car la droite, au gouvernement, présentait un bilan particulièrement accablant. Les Français ont montré leur volonté de la sanctionner en 2004 et en 2005 dans les urnes, et dans la rue en 2003 et 2006. De plus, le souvenir du 21 avril 2002 a incité à la participation massive et a fait jouer à plein le vote utile. Enfin, nous pouvions constater une droitisation de Nicolas Sarkozy dans les derniers mois de sa campagne...
Pourquoi ces atouts n'ont-ils pas joué à plein ?
Nous avions ces atouts. Mais, comme dit l'Ancien Testament, «il est, ici bas, un temps pour tout : un temps pour l'action, un temps pour la réflexion». Jusqu'au 17 juin, nous devons uniquement nous préoccuper de la campagne pour les élections législatives. Ensuite, nous prendrons le temps de tirer le bilan et les enseignements de toute cette séquence électorale. C'est un appel au calme et à la mobilisation pour que le parti socialiste envoie un maximum de députés à l'Assemblée nationale.
Qui doit conduire la campagne législative ?
C'est évidemment la direction du parti. François Hollande va proposer au conseil national qui se tiendra samedi matin une direction collégiale restreinte. Un groupe de sept à huit personnes issues du secrétariat national, qui en compte vingt-cinq. Le centre de gravité redevient le PS. La campagne présidentielle est terminée, Ségolène Royal a évidemment toute sa place dans ce collège.
Au-delà, quels enseignements tirer de cette défaite ?
Il faut que le Parti socialiste cesse de se résigner à être un parti qui oscille autour de 25 % des suffrages des électeurs. La plupart de ses homologues européens atteignent par leurs propres forces au moins 35 % des voix dans les élections décisives. Je pense qu'il n'y aucune fatalité qui condamne le PS à rester à ce faible score, ce qui implique de conduire à l'intérieur du parti une véritable mutation, bien plus qu'une simple rénovation. La vie politique française entre dans une nouvelle phase de bipolarisation. D'un côté, une coalition de droite, dirigée par l'UMP et allant de l'UDF maintenue à Philippe de Villiers, constituera la nouvelle majorité présidentielle. De l'autre, une coalition de gauche, allant du PS aux Verts, au Parti Communiste, sans oublier les radicaux et José Bové, formera l'opposition. Ces coalitions seront solides seulement si le principal parti qui les structure assume pleinement ses fonctions et son identité.
Mais quelle est l'identité du Parti socialiste?
Nous sommes depuis longtemps déjà un parti réformiste, qui défend les aspirations et les intérêts des salariés, dans leur diversité. Nous sommes pour une économie sociale de marché, régulée par la puissance publique et la négociation collective entre partenaires sociaux. La voie française a été présentée dans de nombreux ouvrages, le dernier en date étant celui de Lionel Jospin, «Comment je vois le monde.» Il faut se donner la peine de les lire...
La stratégie de rapprochement avec l'UDF et le centre a-t-elle un sens ?
L'UDF s'est scindée en deux. Les élus et les notables ont rallié Sarkozy et formeront «l'UDF maintenue». François Bayrou va créer jeudi le mouvement des démocrates. On verra s'il reprend les propositions économiques et sociales de sa campagne. Son pari est osé, notre scrutin majoritaire à deux tours pousse à la bipolarisation et lamine le centre. Le plus probable c'est que le «MD» soit un petit parti, une force d'appoint et non le «parti central», pivot de toutes les recompositions qu'espère son fondateur. Le PS devra repenser ses alliances sur la base des orientations politiques des uns et des autres. Mais son problème principal problème n'est pas un problème d'alliance, c'est celui de sa transformation en un grand parti réformiste moderne capable de rassembler toute la gauche et au delà les hommes et les femmes de progrès./.