Alain Bocquet (PCF), Manuel Valls (PS) et Martine Billard (les Verts)
Face à la domination de la droite, le peuple aura besoin d’une opposition forte pour le défendre. Publié dans l'Humanité du 14 Juin 2007
Alain Bocquet : « Il ne doit manquer aucune voix »
Candidat dans la 20e circonscription du Nord, le président du groupe communiste à l’Assemblée nationale appelle au rassemblement à gauche.
L’abstention semble avoir majoritairement touché la gauche. Qu’avez-vous envie de dire à ces électeurs qui ont boudé les urnes ?
L’élection de Nicolas Sarkozy a provoqué l’abattement et le désarroi de nombreux électeurs de gauche. Beaucoup ont considéré que « les jeux étaient faits » et se sont abstenus de voter dimanche dernier pour le premier tour des élections législatives. Cette démobilisation est aussi la conséquence de l’inversion du calendrier électoral qui conduit à assurer au président de la République nouvellement élu quasi systématiquement une majorité. Le pouvoir législatif se trouve ainsi inféodé à l’exécutif. La Ve République est en train d’accoucher d’une monarchie présidentielle. Dimanche, un retour aux urnes des absten- tionnistes de gauche peut - permettre de résister à ce - processus.
452 candidats de gauche sont en lice pour le second tour. En quoi est-ce, selon vous, important qu’un maximum d’entre eux soient élus ?
On ne peut pas se résigner à une majorité écrasante de l’UMP à l’Assemblée. Nous avons l’expérience des « chambres godillots » qui votent sans coup férir tout ce que le gouvernement leur demande de voter. Les députés de l’UMP seront aux ordres de Nicolas Sarkozy. L’exemple de la dernière législature ne laisse aucun doute. Plus l’opposition de gauche comptera de députés, plus la tâche sera difficile pour la droite dans son entreprise de destruction des acquis démocratiques et sociaux. Plus la gauche comptera d’élus, plus l’opposition pourra se faire entendre et contraindre le gouvernement à limiter l’ampleur des coups qu’il s’apprête à porter au monde du travail et aux catégories populaires.
Comment faire élire le plus grand nombre d’élus de gauche ?
Il ne faut pas tergiverser. Toute la gauche doit se rassembler et se mobiliser autour du candidat de gauche le mieux placé au second tour. Il ne doit manquer aucune voix. Chacun peut y contribuer, en convainquant un ami, un voisin, un parent d’aller voter pour le candidat de gauche qui reste en lice.
En quoi l’existence d’un groupe communiste à l’Assemblée est importante ?
Nous ne nous mobilisons pas pour que le PCF conserve, pour lui-même, un groupe. Nous nous battons pour que les valeurs d’une vraie gauche, les aspirations et les revendications du monde du travail, de la création et des quartiers populaires aient droit de cité au Palais-Bourbon. La disparition de ce groupe serait une grave régression démocratique et laisserait le champ libre à la bipolarisation dont tout démontre que les Français ne veulent pas. Partout des voix s’élèvent pour dénoncer la domination dparti unique, l’installation d’un système bipolaire à l’anglo-saxonne, et exiger que toutes les sensibilités politiques puissent s’exprimer à l’Assemblée nationale. Le règlement intérieur de l’Assemblée fixe à vingt députés le minimum requis pour constituer un groupe. Si d’aventure ce seuil n’était pas atteint, alors nous verrons si les discours empreints de préoccupations démocratiques du chef de l’État ne sont que des déclarations de circonstance.
Entretien réalisé par Pierre-Henri Lab
Manuel Valls (PS) : « C’est le moment de se bouger »
Le député maire d’Évry et candidat dans la 1re circonscription de l’Essonne estime qu’il faut voter pour la gauche dans sa diversité.
Que peut encore faire la gauche pour sauver sa représentation ?
Elle doit se rassembler, mobiliser tous ses électeurs du premier tour et convaincre un maximum d’abstentionnistes pour qu’il y ait le plus de députés de gauche élus. C’est en allant chercher les électeurs qui ne se sont pas déplacés le 10 juin, et en essayant de convaincre tous ceux qui souhaitent de la diversité et une meilleure représentation de la réalité politique à l’Assemblée que nous parviendrons à faire qu’il y ait une opposition digne de ce nom au Parlement.
Comment expliquez-vous le record d’abstention du premier tour ?
La logique des institutions de la Ve République, la victoire de Nicolas Sarkozy et le rouleau - compresseur qui l’a suivie, ainsi que le sentiment que les jeux étaient faits d’avance expliquent cette démobilisation. Celle-ci a concerné tous les électorats, la gauche étant plus touchée.
Comment comptez-vous convaincre les abstentionnistes ?
En leur disant qu’ils n’ont rien à gagner et tout à perdre s’ils pensent inutile de voter dimanche. La droite veut dominer tous les pouvoirs de ce pays sans aucun contrepoids parce qu’elle veut imposer aux Français un véritable traitement de choc. On ldans l’avalanche de cadeaux fiscaux qu’elle veut faire aux plus riches, tout en pénalisant le pouvoir d’achat des classes moyennes et des plus modestes avec des franchises de soins et des hausses de la TVA. Donc nous disons : « C’est le moment de se bouger, si on ne veut pas laisser les mains libres à la droite. »
La gauche pourra-t-elle faire entendre sa voix dans l’opposition ?
Plus la gauche sera forte, plus elle sera en résonance avec le pays et les mobilisations sociales. C’est parce que les socialistes et les communistes se sont battus contre la réforme Fillon sur les retraites qu’il y a eu cette mobilisation et sa traduction politique aux régionales en 2004. Sur le CPE, la jeunesse et les forces sociales ont trouvé un relais chez les députés de gauche pour obtenir le retrait du texte. Nombreux à l’Assemblée, nous pourrons faire entendre la voix de la gauche et, au-delà, celle de tous ceux qui estimeront avoir été bernés par les illusions du nouveau pouvoir.
Pour vous, il faut donc élire le maximum de candidats de la gauche, dimanche ?
Évidemment. Il n’y a aucune discussion ni état d’âme à avoir, nous devons être tous rassemblés derrière chacun des candidats socialistes, communistes, radicaux de gauche, divers gauche, Verts, en lice au second tour. Nous devons mener une campagne unitaire exemplaire car toute la gauche dans sa diversité doit être représentée dimanche soir à l’Assemblée nationale.
Martine Billard (les Verts) : « Sarkozy ne doit pas faire ce qu’il veut »
Pour la députée sortante et candidate dans la 1re circonscription de Paris, la mobilisation est nécessaire contre « l’absolutisme »de l’UMP.
Que pensez-vous des appels à droite à élire une « large majorité » ?
La droite disposait déjà d’un nombre de députés très important, avec la majorité absolue pour l’UMP toute seule. Dans ce contexte, les appels du président de la République et du premier ministre sont un peu indécents. On a d’ailleurs vu pendant cinq ans qu’avoir autant d’élus fait perdre au gouvernement le contrôle de ses « ultras », qui les débordent sur un certain nombre de projets de loi...
Nicolas Sarkozy a-t-il besoin d’une majorité écrasante ?
Non, le chef de l’État recherche l’absolutisme, et c’est cela qui est très dangereux. Dans une démocratie, on a toujours besoin d’une opposition. La volonté d’hégémonie de l’UMP, du premier ministre et du président de la République vise à la tuer, il faut les en empêcher.
Qu’allez-vous dire aux Français pour les inciter à voter ?
Je veux leur dire qu’il faut voter car il n’est pas bon que la droite puisse ainsi écraser toute la représentation nationale en voix et en sièges. Je les incite à voter, car ce serait donner un très mauvais signe que de montrer que les Français se désintéressent de savoir s’il y a une opposition consistante au Parlement. Cela serait immédiatement traduit par Nicolas Sarkozy comme le droit de faire ce qu’il veut, avec le soutien massif des Français.
Est-ce important de réélire des députés de gauche dans leur pluralité ?
Oui, car chacun a sa spécificité et ne défend pas toujours les mêmes propositions. Mais le reproche principal tient au refus d’introduire une dose de proportionnelle dans le scrutin. Contrairement à l’idée répandue, cela ne débouche pas sur des gouvernements sans majorité, de nombreux pays en attestent. Mais elle permet la représentation de l’ensemble des courants politiques, à la différence du système français.
Pourquoi, pour vous, faut-il élire le maximum de députés de gauche ?
Pour deux raisons : d’abord parce qu’ils sont utiles dans leur circonscription, au côté des luttes sur le logement, l’emploi, la santé, l’école, etc. Ensuite, ces élus seront utiles nationalement, dans l’élaboration des lois, car plus il y aura de députés d’opposition et mieux se portera le débat à l’Assemblée. L’exemple du CPE a montré que des députés de gauche qui se battent dans l’hémicycle permettent à la mobilisation de se développer. C’est plus facile quand on est nombreux. Je souhaite que tous les électeurs aillent voter, et qu’ils le fassent pour le candidat le mieux placé pour être élu.
Entretiens réalisés par Sébastien Crépel