Dans l’Express du 28 juin 2007, la maire de Lille est revenue sur l’échec de la gauche à la présidentielle. Et a appellé les socialistes à une "renaissance".
Source : http://www.reformer.fr/
Quel regard portez-vous sur l’échec de la gauche à l’élection présidentielle ?
Nous avons échoué car nous n’avons pas été nous-mêmes. La vraie modernité, selon moi, ne consiste pas à se situer sur le terrain de l’adversaire, ni à suivre tous les jours les nouvelles demandes des Français, mais à partir de nos valeurs de définir un projet de société. Un projet qui apporte des réponses aux problèmes urgents des français, sur les salaires, l’emploi, le logement... mais aussi aux défis de la mondialisation, du choc démographique, du défi écologique, et de l’éclatement de la société. Nicolas Sarkozy a montré, a contrario, ce que pouvaient être les conditions d’une victoire : une structuration idéologique forte et le rassemblement de son camp. Sur ces deux points, les socialistes ont failli. Nous n’avons pas non plus rénové nos pratiques de parti et nos rapports avec nos concitoyens.
Comment expliquez-vous que Nicolas Sarkozy ait réussi à s’imposer en candidat du pouvoir d’achat ?
La droite a préempté les questions d’emploi et de salaires, c’est un comble ! Je ne crois pas que nous ayons perdu parce que nous avons proposé le smic à 1500 euros. Nous avons perdu parce que nous n’avons pas suffisamment défendu les bas salaires et une répartition plus juste des richesses. Nous aurions dû porter haut des idées neuves comme l’allocation d’autonomie pour les jeunes ou la sécurité sociale professionnelle. Ce système accompagne les salariés dès leur sortie de l’école jusqu’à la retraite en permettant une progression professionnelle et une prise en charge dans les changements d’activité. Il permet aussi d’améliorer la qualification des français, ce qui est nécessaire pour nos entreprises. C’est un immense chantier qui touche aux conventions collectives et qui doit être négocié avec les organisations patronales et syndicales.
Qu’attendez-vous du PS aujourd’hui ?
Je suis convaincue que la France n’est pas à droite, mais qu’elle s’est repliée sur l’individualisme à cause d’une peur de l’avenir. Nicolas Sarkozy a joué de cela pour s’imposer en homme providentiel. Face au modèle libéral et financier qu’il propose, nous devons élaborer un autre modèle, que je résume par " la justice, la justice, la justice " ! Le PS doit faire son autocritique pour revenir à ses valeurs, retrouver ses fondements, moderniser ses réponses. Je n’aime pas l’idée d’une refondation, je lui préfère le terme de " renaissance "...
François Hollande est-il le mieux placé pour conduire cette renaissance ?
Nous avons tous notre responsabilité sur ces cinq dernières années, lui en tant que chef de parti, nous parce que nous nous sommes exprimés trop bas quand nous n’étions pas d’accord... Aujourd’hui, pourtant, il est le mieux placé pour nous mettre au travail, afin que le PS adopte une ligne claire à l’automne 2008. Il pourra alors s’ouvrir aux autres partis de gauche, pour constituer un socle de réponses, du local au mondial. A partir de là, nous pourrons réunir tous ceux qui pensent que le sens d’une société, c’est le progrès collectif, tous ceux qui portent un humanisme. Il fallait faire appel aux électeurs du MoDem, à tous ceux qui partagent nos valeurs, mais le temps n’était pas venu d’un accord électoral. Construisons d’abord un projet commun à gauche, avant d’en discuter avec d’autres.
Les 35 heures sont critiquées à l’intérieur même de votre propre camp, notamment par Ségolène Royal. Cela vous choque ?
Je commence à m’habituer ! Je suis juste toujours un peu surprise quand la gauche prend ses distances avec des réformes qu’elle a elle-même initiées. Assumons ce que les socialistes ont fait depuis un siècle, ne donnons pas l’impression que nous n’avons pas d’histoire ! Mais rien ne nous dispense d’une analyse critique, c’est évident.
Avez-vous identifié les problèmes qui demeurent liés à l’application de cette réforme ?
Oui depuis le début, je suis consciente que c’est difficile pour certaines petites entreprises. J’ai toujours dit que pour environ 15% des salariés, les 35 heures avaient aggravé les conditions de travail ou le stress dans l’entreprise. Si nous étions revenus au pouvoir, je prônais qu’un bilan soit établi avec les organisations patronales et syndicales, afin de préparer des renégociations dans un certain nombre de domaines.
Etes-vous pour une opposition frontale ou pour une opposition au cas par cas ?
Sarkozy dissimule derrière des mots doux des réalités très dures. C’est sa méthode, s’abriter derrière un rideau de fumée ! Une manière d’agir qui dure depuis douze ans. Souvenons-nous : en 1995, Jacques Chirac annonce 10 milliards de baisse des charges patronales sans contrepartie. Puis Alain Juppé augmente de 2 points la TVA ! Allègement des charges, cadeaux fiscaux aux privilégiés _ c’est la poursuite d’une même politique. Face à ces mensonges, nous, les socialistes, devons réagir en proposant des solutions alternatives qui s’appuient sur nos valeurs. Sur l’augmentation de la TVA, par exemple, nous envisagions, afin de baisser le coût du travail, que les cotisations patronales soient assises sur l’ensemble de la valeur ajoutée, à la fois les salaires, les investissements et les profits. Le gouvernement Fillon, cherche simplement des ressources pour financer les cadeaux fiscaux accordés aux privilégiés. Aujourd’hui, la droite s’apprête aussi à réduire les effectifs dans les services publics, alors que l’école, les hôpitaux, la justice et la police de proximité nécessiteraient plus de moyens ...
Rachida Dati Garde des Sceaux, Rama Yade et Fadela Amara secrétaires d’Etat - la gauche en a rêvé, Nicolas Sarkozy l’a fait...
C’est vrai. Même si je crois que les choix doivent d’abord se faire en fonction des compétences et non en terme d’affichage, je suis consciente de l’importance des symboles. Nous n’avons pas, nous, socialistes, recherché avec toute la détermination qui s’imposait, des hommes et des femmes aux couleurs de la France pour porter de hautes responsabilités.
Propos recueillis par Elise Karlin.