Féminisme . Coup de colère de Safia Lebdi, l’une des fondatrices du mouvement Ni putes ni soumises, face à la nomination de sa « copine » Fadela Amara au gouvernement Fillon. Cette nomination au secrétariat d’État à la Politique de la ville a provoqué de vifs échanges au conseil national du mouvement. Récit et explications sur le désarroi des militant-e-s et leur inquiétude sur l’avenir de l’association.
Que s’est-il réellement dit au conseil national de Ni putes ni soumises ?
Safia Lebdi. Contrairement à ce qui a été écrit un peu trop vite par la direction, les responsables et militant(e)s de Ni putes ni soumises ne « saluent » pas unanimement la nomination de Fadela. Le conseil national a permis de le clarifier. Plusieurs participant(e)s ont ainsi pu exprimer leur malaise sur le fait que Fadela accepte un poste placé sous la tutelle de la ministre Christine Boutin, une proche des milieux anti-avortements, homophobe et fervente catholique. C’est complètement incohérent avec les orientations que s’était fixé notre association. Surtout, on reproche à Fadela de ne pas avoir démissionné avant de donner son accord. Nous sommes troublé(e)s aussi par le fait que notre ancienne présidente va siéger dans un gouvernement qui compte en son sein un ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration. Nous sommes plusieurs à signer l’appel qui circule contre son instauration. On reproche ainsi à Fadela ne pas avoir protégé notre mouvement.
Quelle était l’ambiance au cours de cette réunion ?
La colère s’est exprimée, c’était explosif. Plusieurs participant(e)s voulaient avoir des explications sur le geste de Fadela, qui était malheureusement absente. Ils se demandaient comment on pouvait être crédibles, alors que notre présidente a accepté de travailler main dans la main avec Boutin. Certain(e)s ont rapporté que, dans leur comité, des adhérents ont dit qu’il ne fallait pas compter sur eux pour applaudir maintenant la politique sarkoziste. On a peur que tout le travail réalisé par Ni putes ni soumises s’efface dans les esprits. On nous reconnaît dans notre combat contre toutes les formes d’intégrisme, notre lutte pour la laïcité a eu un impact parce qu’elle était portée par des femmes des cités populaires, d’autant que le repli communautaire se faisait lourdement sentir dans ces endroits. Au conseil national, nous nous sommes battu(e)s pour obtenir l’indépendance du mouvement. Un congrès est programmé pour octobre prochain. Il devra désigner la nouvelle présidente. Ces garanties ayant été arrachées, nous avons acté que Siham Habchi (voir encadré) assure l’intérim de la présidence jusqu’à l’échéance du congrès. On a également acquis le droit de pouvoir critiquer le gouvernement, y compris l’action de Fadela dans le cas où elle irait à l’encontre de nos orientations.
Craignez-vous que cette nomination ne mette en péril votre mouvement ?
Ni moi ni la plupart des fondateurs de Ni putes ni soumises ne cautionnons cette nomination. Nous devons rester un mouvement indépendant. Il en va de la survie même de l’association. C’est un grand défi. Énormément de gens nous font confiance. Nous ne devons pas laisser s’installer l’amalgame. Mais d’ores et déjà, des comités se sont dissous, des militants ont démissionné. Nous sommes interpellé(e)s par des militant(e)s féministes et antiracistes qui avaient fait du chemin avec nous et qui, aujourd’hui, ne comprennent pas la décision de Fadela. Elle a semé le trouble et a fragilisé notre mouvement, alors que nous avons travaillé pendant cinq ans comme des fous pour nous faire connaître et accepter. On a contribué à réveiller des consciences, à bousculer des mentalités, à casser des tabous.
Comment personnellement avez-vous réagi à la nomination de votre copine ?
Je suis et reste une femme de gauche. Je suis en colère. Le discours de Sarkozy montant les uns contre les autres a réussi, d’autant que le PS ne l’a pas suffisamment combattu sur ce terrain. Sarkozy est très malin. En mettant Fadela sous la tutelle de Boutin, il entend réduire le combat de Ni putes ni soumises, le rendre inaudible, non crédible. En acceptant ce poste, Fadela brouille tous les repères et, de fait, cautionne un président qui surfe sur le désarroi des gens et qui veut les amadouer en assurant la parité et la diversité dans son gouvernement. Ça me fait peur. Je ne crois absolument pas à ce que Sarkozy est en train de nous vendre. Je me battrai dans l’association, en tout cas jusqu’au congrès, pour garantir son indépendance. On verra ensuite si j’y ai encore ma place. Cela ne m’empêchera pas de continuer à militer, pour l’avenir de mon petit Johaquim, qui a deux mois. Il faut redonner du sens au clivage gauche-droite.
La nouvelle secrétaire d’État à la Politique de la ville peut-elle changer la donne dans les banlieues populaires ?
Que va pouvoir faire Fadela sous la tutelle de Boutin et dans un gouvernement constitué par Nicolas Sarkozy ? Elle ne peut que mener une politique de saupoudrage dans les quartiers. Ça ne valait pas le coup de brader des idées pour trois francs six sous. Je suis atterrée par sa décision. Fadela ne s’attendait sans doute pas à cette réaction des membres du conseil national. Elle estime son geste héroïque, pense qu’elle va pouvoir changer la donne de l’intérieur du pouvoir. Mais, même si elle peut faire un certain nombre de choses, comme subventionner des associations, Sarkozy, d’un autre côté, fera passer des mesures antisociales, anti-immigrés. Sa politique va faire mal. Comment Fadela va-t-elle se justifier sur ces projets qui vont d’abord enfoncer les plus pauvres ? Cette situation est perverse. Je n’ai pas salué sa nomination, je ne l’ai pas félicitée, mais je lui souhaite bonne chance./.
Dans L' 'Humanité du 25 Juin 07