Mireille Mendès France et Hugo Ruiz Diaz* dénoncent la logique sécuritaire et répressive d’un traité « contre le terrorisme, la criminalité et la migration illégale ». Un amalgame dangereux.
Tribune publiée dans l'hebdomadaire Politis, 25 octobre 2007 (http://www.politis.fr/)
Dans le calme de l’été, l’Assemblée nationale a voté, au prétexte d’approfondir la coopération transfrontalière, un traité multilatéral [1] basé sur une logique sécuritaire et répressive, et sur la peur organisée de l’autre. Selon ses auteurs, il s’agit de mieux lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale. Le texte enferme ainsi, dans la même catégorie, événements sportifs, terrorisme, criminalité transfrontalière, migration, manifestations de syndicats, mouvements sociaux, et amalgame des droits fondamentaux comme les droits à migrer, à s’associer, à exprimer des opinions politiques, ou celui de manifester. [...]
Ce texte impose par exemple l’idée que les déplacements pour se rendre à un contre-sommet ou les migrations peuvent être assimilés à du terrorisme ou à une criminalité transfrontalière. Ils peuvent donner lieu à poursuites et sanctions ; et cela sans aucune distinction de fond.
Cet amalgame suit la ligne et l’idéologie de ce que Jerôme Valluy [2] appelle « un phénomène d’institutionnalisation de la xénophobie » aussi bien régional qu’européen et international. « L’autre » sert de bouc émissaire. Il s’agit d’ancrer dans l’inconscient collectif l’idée que les migrants sont porteurs « naturels » du virus du terrorisme, de la criminalité, voire de l’agression ! Question : est-ce à ce type de criminalité supposée que l’on va appliquer l’échange d’informations sur l’ADN et la coopération transfrontalière en général ? Ces mesures sont complétées aujourd’hui par celles concernant les migrants à propos des tests ADN pour le regroupement familial et de la traçabilité des origines raciales. Il s’agit de toute une série de mesures liberticides et attentatoires aux droits humains, mesures incompatibles avec tout État démocratique ou qui s’affirme tel.
Ainsi, la lutte contre la criminalité, quelles que soient sa forme et sa gravité, vise à obstruer, à limiter, voire à éliminer, l’exercice des droits fondamentaux, assimilé à une forme de criminalité.
Depuis le 11 octobre, un second texte renforce ces mécanismes par l’adoption du projet de loi autorisant la Ratification du protocole portant amendement à la Convention européenne pour la répression du terrorisme. Ce protocole vise à modifier de façon substantielle des accords d’extradition contenus dans certaines Conventions, dont la Convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, qui prévoit la non-extradition pour raison politique. Avec cette ratification, l’infraction politique n’existe plus, il ne reste que l’acte terroriste.
Avec ces deux textes, et tous ceux précédemment adoptés [3], aussi bien sur le plan européen que national, il est clair que l’objectif est de criminaliser tout type d’activité qui a pour fondement la motivation politique.
L’Europe forteresse s’inscrit dans la logique du gouvernement nord-américain du choc des civilisations. Elle légitime l’état d’exception international mis en place par les puissants contre les peuples.
La plus grande menace à la paix et à la sécurité se trouve dans la violence des pays occidentaux, spécialement des États-Unis et de leurs alliés européens qui violent systématiquement le droit international et la Charte des Nations unies. La vraie menace à la paix internationale est la pauvreté généralisée des populations du Sud et le pillage de leurs ressources naturelles de la part des sociétés transnationales, à laquelle doit être ajouté le déni de droit dont sont victimes de nombreux peuples. Dans ce contexte, il est indispensable de saisir les causes profondes du terrorisme, comme l’a souligné à plusieurs reprises l’Assemblée générale de l’ONU. N’est-il pas la conséquence du désespoir que cet ordre international de misère et de violence déverse et impose aux peuples ?
Notes
[1] Traité multilatéral pour renforcer la coopération transfrontalière, en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale
[2] Professeur de sociologique politique à Paris-I.
[3] Lois de 1999, 2005 et 2006.