L’idée de vérifier les liens de parenté des étrangers par des tests ADN active dans l’esprit des gens le fantasme de l’invasion. C’est le détail qui tue. On ne joue pas impunément avec la peur de l’étranger. Une vague xénophobe est en train de grossir. L’UMP, et avec elle la majorité ouverte qui la soutient, ne fait là que prolonger et enfler la démagogie du Front national. A cet égard, le rejet de la Turquie hors de l’Europe relève du même levier populiste : le président de la République martèle qu’il ne se voit pas expliquer à ses enfants que les frontières de l’Europe vont jusqu’en Asie Mineure. Mais ce pseudo-argument, qui mélange l’histoire et la géographie, soutient une absurdité : les racines de l’Europe plongent pour une part importante en Grèce ; or les frontières de la Grèce antique (la «Grande Grèce»), s’étendaient justement jusqu’à la Turquie actuelle. Thalès, dont le théorème est enseigné aux collégiens français comme le fondement de notre géométrie, était turc, puisqu’il venait de Milet. Le philosophe Héraclite sans qui Platon, Aristote, Montaigne et Nietzsche, ces parangons de la philosophie européenne, sont impossibles, était quant à lui d’Ephèse : encore un Turc ! Inutile de développer plus avant.
Cela suffit à montrer que Nicolas Sarkozy ne soutient pas une position géopolitique mais manipule la xénophobie à des fins personnelles : la prise du pouvoir, sa concentration et sa conservation. C’est le bon sens au pouvoir : il faut bien reconnaître qu’il y a des gens qui ne sont pas comme nous. L’UMP est en train de transformer les Français en autant de Tartarin de Tarascon terrifiés à l’idée qu’«Ils» arrivent chez nous. C’est cela, la droite décomplexée à laquelle se rallie la gauche décérébrée, celle qui pose enfin Le problème, le problème des étrangers.
Problème déclaré majeur qui nécessite un ministère à lui tout seul, le ministère de la Peur. Nicolas Sarkozy ne se contente pas de dire, il fait. C’est la xénophobie frappée au coin du bon sens.
C’est le bon sens contre lequel mettait déjà en garde Molière : ces répliques parodiques de Scapin avaient pour but d’éveiller les Français du XVIIe siècle à la bêtise qui les menaçait : «Ce sont des gens qui n’entendent point de raison», «Vraiment oui, de la conscience à un Turc !»
Pour mesurer la constance et la profondeur du ressort xénophobe dans l’idéologie de l’UMP, il suffit de mettre en parallèle la lettre aux éducateurs de Nicolas Sarkozy, qui vante «ce penchant si français pour la raison universelle», et son discours de Dakar du 26 juillet dernier, qui présente les Africains comme «frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine».
Heureusement pour eux, les Africains ont la chance de n’être pas seulement africains mais de porter en eux – c’est, persiste le président français, «le meilleur» de la colonisation – «cette part d’Europe en [eux qui] n’est pas indigne. Car elle est l’appel de la liberté, de l’émancipation et de la justice et de l’égalité entre les femmes et les hommes. Car elle est l’appel à la raison et à la conscience universelles». A l’Africain la spontanéité, l’oralité, la foi, en un mot la nature («l’homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires», assène Sarkozy de Tarascon), et à «nous Français» (lettre aux éducateurs), la raison, la liberté, le savoir, bref, la culture. Qu’on en juge sur pièces : «Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine ni pour l’idée de progrès.» (Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, discours de Dakar du 26 juillet.)
L’homme blanc européen moderne, c’est l’Africain enfin devenu adulte. Outre la généralisation délirante qu’elle véhicule, l’utilisation par le président français de l’étiquette «Africains» produit une violente chosification des gens et les transforme en l’Autre. Imaginez un Sénégalais s’adressant aux Français en ces termes : «Vous les Européens, vous êtes ceci, vous faites comme ça…»
Du reste, pour dévoiler l’énormité du propos présidentiel, il suffit d’inverser le point de vue : imaginez une personnalité allemande parler de ce goût si allemand de l’intelligence…
Ce qui est grave dans toute cette misère idéologique, c’est que les idées de liberté, de droit et de pensée sont instrumentalisées pour asseoir un pouvoir. Le tragique, c’est que «nos valeurs» manipulées par ces néoconservateurs servent de cheval de Troie pour préparer leur ruine.