Tribune de Pierre Micheletti, président de Médecins du monde, publiée dans Le Monde.fr du 25.10.07.
Comme d'autres associations intervenant dans le champ de la solidarité, Médecins du monde a été conviée par le président de la République à une réunion de travail sur la pauvreté en France. Médecins du monde avait ce jour-là plus particulièrement vocation à intervenir sur les aspects spécifiques liant santé et précarité.
En préambule, nous avons souhaité profiter de l'opportunité que nous donnait le chef de l'Etat de le rencontrer pour lui exprimer la réprobation de notre association de voir utiliser les sciences et la médecine comme outils au service de la politique migratoire.
Cette introduction faisait en particulier référence à la pratique des tests ADN dans le cadre du regroupement familial des étrangers présents sur le territoire français. Le chef de l'Etat a considéré cette partie de notre intervention comme nulle et non avenue. Pas pour Médecins du monde. Pour nous, le lien entre pauvreté et migration est une évidence, même si les opinions exprimées par les participants lors du tour de table furent assez elliptiques sur la question.
Le public auprès duquel Médecins du monde intervient est composé à 80 % d'étrangers : 20 % des personnes rencontrées vivent à la rue, 40 % occupent des logements précaires dont ils peuvent être renvoyés du jour au lendemain, vivant ainsi dans une insécurité totale, 86 % sont sans couverture maladie au moment où nous les rencontrons. Enfin, 100 % de ces personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Ces constats s'imposent à nous. Nous ne pouvions donc participer à ce tour de table sans rendre explicite la question des étrangers.
De la place particulière qui est la nôtre, celle d'une ONG médicale, nous voyons s'installer par petites touches successives une logique qui nous inquiète : celle qui consiste à utiliser les sciences médicales et les médecins comme supplétifs de la maîtrise de l'immigration.
La circulaire de février 2006 permettant l'arrestation des étrangers dans les structures de santé ; les pressions exercées sur les médecins inspecteurs de santé publique pour influencer les décisions d'expulsion des étrangers gravement malades ; les évacuations musclées pour des raisons sanitaires des campements de fortune occupés par les Roms (ces mêmes Roms que l'on laisse parfois s'installer dans de véritables cloaques) ; le calcul de l'âge osseux sur des adolescents pouvant conduire à leur exclusion de la protection de l'enfance et à leur expulsion si ces examens établissent que ce sont des "adultes biologiques" illustrent nos inquiétudes.
Le texte sur la pratique des tests ADN, même en grande partie vidé de sa substance par la commission mixte paritaire, n'en garde pas moins toute sa force symbolique dans un tel contexte. Il instaure une discrimination inacceptable dans la preuve de filiation, à des fins de contrôle.
Médecins du monde est ainsi dans son rôle en ayant interpellé M. Sarkozy sur ces questions. Le président de la République a considéré qu'il s'agissait d'un hors-sujet. On ne peut survaloriser la place des étrangers en matière de sécurité et la minorer quand on parle de pauvreté. Cette incompréhension résume tout le problème.