Le secrétaire général de la CGT répond à Xavier Bertrand. Interrogé par le JDD, le leader syndicaliste accuse le gouvernement et le Chef de l'Etat de vouloir le conflit et de chercher la division syndicale.
Propos recueillis par Nicolas PRISSETTE, Le JDD.fr du 11 Novembre 2007
Xavier Bertrand, ministre du Travail, a refusé la réunion que vous proposiez entre les syndicats, le gouvernement et les entreprises concernées par la réforme des régimes spéciaux. Il accepte de vous recevoir, mais seul. Que répondez-vous?
Nous avons formulé la demande de pouvoir négocier sur une réforme des retraites qui n'est pas acceptable en l'état. Nous avons tenté une nouvelle fois vendredi d'obtenir une réunion tripartite pour travailler à une issue au conflit en cours. Le ministre du Travail a été mandaté pour m'adresser une brutale fin de non-recevoir. Puisqu'il n'y a pas de réunion tripartite, c'est le blocage.
La grève commence mardi soir dans les transports. Elle s'annonce donc dure...
Elle sera sans doute très suivie. Nous sommes sur une démarche réfléchie et coordonnée avec les autres syndicats. Les personnels ont fait preuve d'esprit de responsabilité quand le Premier ministre a annoncé que la réforme des régimes spéciaux de retraite était bouclée, qu'il suffisait d'un signal du président de la République pour l'appliquer. Dès ce moment-là, les hostilités auraient pu commencer. Une grève de 24 heures très importante le 18 octobre n'a pas suffi à faire admettre le principe d'une réelle négociation. Une autre étape de mobilisation est inéluctable.
Le mouvement peut-il s'étaler jusqu'au 20 novembre, date de la grève des fonctionnaires?
Il n'y a pas de calcul de ce type. Ce sont les salariés avec leurs syndicats qui décideront. Tout le monde sait que d'autres conflits existent, notamment sur les salaires des fonctionnaires et dans le privé. Par exemple, les salariés de la construction vont aussi agir le 20 novembre.
Vous dites que vous avez été écarté des consultations jusqu'ici...
Le gouvernement veut ignorer le fait que la CGT est la première organisation syndicale à la SNCF, la RATP, chez EDF et GDF. Il a voulu manoeuvrer, comme si les syndicats n'étaient pas l'émanation des salariés... Il a cherché à créer la division syndicale en privilégiant certains contacts, cela ne marche pas.
Les directions des entreprises concernées veulent prendre date pour négocier. La CGT ira-t-elle aux rendez-vous?
Les organisations qui ont participé aux discussions dans les entreprises ont constaté les limites de l'exercice. C'est pourquoi 21 syndicats sur 23 appellent à la grève. La retraite des agents dépend pour partie du gouvernement, pour l'autre des entreprises. Si le cadre du gouvernement est figé, il ne peut pas y avoir de bonnes négociations dans les entreprises.
François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, a le sentiment que le gouvernement vous "demande de faire grève". Vous aussi?
J'ai maintenant la conviction que le gouvernement veut le conflit pour l'exemple. Je suis bien obligé de constater que toutes les catégories professionnelles ne sont pas traitées avec la même brutalité quand des problèmes apparaissent. La situation et l'avenir des régimes spéciaux ne justifient pas la dramatisation qu'orchestre le gouvernement et qu'alimente le chef de l'Etat. Les salariés concernés deviennent otages d'une volonté de montrer que ce dernier réussit. C'est stupide et inquiétant pour la suite. Cela peut laisser supposer que la troisième réforme des retraites du régime général en 2008 ne sera pas davantage négociable. Une fois que le chef a parlé, c'est "circulez, y a rien à voir".
Xavier Bertrand assure que les futurs retraités ne perdront pas un centime s'ils acceptent de travailler deux ans et demi supplémentaires. Vous ne le croyez pas?
Qu'il en fasse la démonstration! D'ores et déjà, la moitié des agents n'ont pas le plein de leurs droits. La désindexation des retraites sur les salaires fait perdre 20% de la pension sur vingt-cinq ans. On nous demande de cautionner d'autres règles pour les futurs embauchés, les jeunes seraient sacrifiés. A ce moment-là, il n'y a plus de système de retraite solidaire.
Les sondages sont favorables à la réforme. Ne craignez-vous pas d'être en porte-à-faux avec les Français?
Chaque conflit est confronté au défi de l'opinion publique. Les agents en ont bien conscience. Nous n'avons pas les moyens matériels de contrecarrer totalement la désinformation diffusée sur les régimes spéciaux et sur la réalité des métiers concernés. Des fables continuent de circuler. Que chaque Français se tourne vers un cheminot, un salarié EDF ou de la RATP. Surtout, personne ne doit ignorer que si nous n'inversons pas la tendance, le niveau des retraites du privé sera à l'avenir de l'ordre de 47% du dernier salaire, alors qu'il était en moyenne de 81% en 1998. Et la réforme des régimes spéciaux n'y change rien.