Depuis plusieurs semaines, un nombre grandissant d’étudiants refuse la loi sur « les libertés et les responsabilités de l’université » (LRU), votée cet été. Ce texte instaure une plus large autonomie de gestion aux établissements. Explications avec Jean Fabbri, secrétaire national du SNESUP-FSU, principal syndicat d’enseignants-chercheurs.
Entretien réalisé par Vincent Defait, publié dans l'Humanité.fr du 12 Novembre 2007
L’autonomie des universités existe depuis 1984. En pratique, cela donne quoi ?
Jean Fabbri. Cela signifie d’abord l’indépendance scien-tifique des enseignants du supérieur : ils n’ont pas à enseigner une doctrine. Ensuite, il s’agit d’une autonomie de gestion, dans le cadre de la dotation en budget et en postes de l’État. Cette dotation se fait en fonction des effectifs de l’université, de ses domaines d’enseignement et de recherche, etc. L’établissement s’administre librement avec trois conseils : d’administration, scientifique et des études et de la vie universitaire. Ces conseils élisent un président, et parfois un bureau, lesquels assument l’orientation de l’université dans le cadre de la politique conduite par l’État.
La loi accroît le rôle du président de l’université. Qu’est-ce que cela changera ?
Pour l’heure, les trois conseils sont composés d’un certain nombre d’élus, ce qui permet une représentation des différentes thématiques universitaires et un travail collégial d’animation de l’établissement. La loi, elle, organise un fonctionnement managérial calqué sur celui des entreprises privées, et instaure une logique concurrentielle. À quoi s’ajoute la prédominance absolue du président de l’université dans l’administration de l’établissement. De plus, le nouveau type de scrutin risque d’exclure des disciplines des instances décisionnelles. Pour toutes ces raisons, nous continuons de qualifier cette loi de liberticide.
Qu’est-ce qui changera pour les enseignants ? Pour leur recrutement ?
Actuellement, dans chaque établissement, c’est une commission, aux deux tiers élue et fondée sur une discipline précise, qui attribue un poste à un enseignant-chercheur. La loi substitue à cette commission un comité de sélection désigné par le président de l’université. Pire, il n’y a plus de parité entre les professeurs et les maîtres de conférence, souvent les plus jeunes. On risque donc de basculer dans une logique mandarinale où seuls les professeurs recrutent les maîtres de conférences.
Vous craignez aussi la casse du statut des personnels, notamment parce que la loi autorise le recrutement de contractuels. N’est-ce pas déjà le cas ?
Pas pour les enseignants-chercheurs. Pour l’heure, les établissements font appel à des vacataires pour des fonctions techniques et administratives. Le statut de titulaire permet un avancement de carrière régulier, des mutations vers une autre université, des congés pour recherche… C’est d’autant plus important que c’est lié à un autre aspect de la loi qui tend à casser le financement global des établissements par l’État. En bref, nous craignons le passage à une logique de contrats de court terme : on recrute des gens pour un programme de recherche ou monter une formation, puis on s’en débarrasse.
Parmi les craintes exprimées, figure une influence grandissante des entreprises dans la gestion des universités. Or les entreprises siègent déjà dans les instances universitaires…
L’université n’est pas une tour d’ivoire. Quand nous développons nos recherches ou des formations, nous souhaitons aller le plus loin sur le front des connaissances, mais aussi répondre aux missions débattues et définies par le Parlement.
Dans une lettre adressée à Valérie Pécresse le 21 septembre, vous qualifiez la loi de « dangereuse pour la liberté scientifique ». Pourquoi ?
Il y a besoin de débats entre les scientifiques, et entre les scientifiques et la société. Ces débats doivent se fonder sur un rôle accru du Parlement en matière de choix scientifiques. À ce titre, le financement des universités doit provenir exclusivement de l’État. Il ne peut pas y avoir de pilotage de la recherche par les entreprises privées sur des objectifs de court termes. Que les entreprises privées exercent des recherches sur leurs fonds propres, nous ne pourrions que nous en féliciter, voire établir des coopérations avec elles. Malheureusement, elles investissent de moins en moins dans la recherche. Cela dit, il n’est pas choquant que le monde extérieur à l’université soit représenté dans ses instances. Je pense aux collectivités territoriales, aux entreprises, aux syndicats de salariés, au monde de la culture… Ce qui serait scandaleux, c’est qu’il n’y ait que des représentants du patronat dans un conseil d’administration.