Tribune de Marie-Françoise Bechtel, ancienne directrice de l'ENA. Les dirigeants européens ont sorti de leur chapeau un nouveau traité qui conserve soigneusement la substance de sa grande soeur de 2005. Source : http://www.marianne2.fr/
19 octobre 2007. Scène de magie à Lisbonne. De l'enveloppe de la « Constitution européenne » est extrait, sous les acclamations des chefs d'Etat et de gouvernement émerveillés, le noyau dur : une Union européenne gouvernant par l'entremise de comités d'experts, de sages et de juges, toutes instances indépendantes des peuples mais non, assurément, des lobbies. Et chacun de se féliciter et de rentrer chez soi avec une injonction et une seule : plaudite, cives !
Vous avez aimé la grande sœur ? Vous allez adorer la petite. Revoici les actes législatifs que ne contrôle aucun peuple souverain, les décisions à la majorité qualifiée réglant notre vie quotidienne, notre vie économique et sociale, une justice qui ne rend de comptes à personne, tout occupée qu'elle est à régler les principes fondamentaux de nos sociétés ainsi d'ailleurs que les mœurs, un Parlement qui ne décide pas de la loi et ne contrôle aucun exécutif, sans oublier le festin des peuples : un droit de pétition comme aux plus beaux temps de la Restauration.
Calmer l'ire du peuple…
Vous aviez repoussé la Constitution de 2005 ? Vos réticences tomberont devant les charmes de sa nouvelle version. La réduction, comme dans les sauces réussies, en exalte la substance en réduisant ce qui l'allongeait inutilement. Trop de politiques libérales dans la 3° partie ? Qu'à cela ne tienne : ôtons-les, le système de la majorité qualifiée les fera toujours ressortir du chapeau. Les « lois » européennes indignaient les peuples qui croyaient être, de celles-ci, la seule source légitime ? Apaisons cette ire et parlons plutôt d'actes « adoptés selon le processus législatif » qui ont exactement le même effet mais passent tellement mieux dans les mots.
Un drapeau, un hymne ? Au diable tout cela ; trop voyant, trop bruyant, et finalement mal adapté à cette « Union », ciment des élites, qui, depuis quarante ans se fait dans les cénacles d'experts et de fonctionnaires. Que l'important demeure : la monnaie unique sans aucun pilotage économique.
Le titre de ministre des affaires étrangères résonnait douloureusement de la nostalgie d'une politique étrangère indépendante ? Nul doute que ce deuil sera adouci avec l'apparition d'un « haut représentant » doté de services diplomatiques.
La charte des droits fondamentaux chagrinait les esprits attachés à notre conception des libertés publiques et au maintien de nos principes constitutionnels ? Une référence qui en reconnaît la force obligatoire fera tout aussi bien l'affaire.
…en l'endormissant
Vous avez du mal à reconnaître la « grande » dans la « petite » ? Les 256 pages d'un texte qui devait être « mini » et « simplifié » vous semblent illisibles ? C'est encore la magie de Lisbonne ! Les perles de la défunte Constitution ont été soigneusement enfouies dans les traités existants, perdant de leur brillant mais non de leur valeur. Ce ne sera pas la première fois au demeurant que l'on endormira les peuples pour leur bien : Bonaparte voulait pour asseoir son pouvoir une Constitution « courte et obscure ». Mais la longueur peut avoir également ses charmes dès lors que l'on s'est bien assuré que les principes restent confus. Ô miracle ! L'Union vient d'inventer une Constitution impossible à lire, à côté de laquelle le mystère de la « subsidiarité » fait figure de devinette pour classes maternelles. Il est vrai que, quelque deux cents vingt ans après l'invention de la démocratie en Europe, nous n'avons plus de Voltaire pour réarmer les peuples, fût-ce par le rire…