( Rue89 , 18/11/07 )
Lors d'une rencontre à l'Elysée avec des journalistes du quotidien, le Président a annoncé la nomination de Nicolas Beytout à la tête du pôle médias de LVMH.
Vendredi soir, Palais de l'Elysée. En pleine semaine de grève, le président de la République reçoit le directeur de la rédaction Erik Izraelewicz des Echos, et quelques membres de la rédaction en chef du journal. Ceux-ci s'attendent à ce que le Président discute de la semaine sociale, du pouvoir d'achat...
Mais très vite, ce dernier met la discussion sur un terrain plus sensible, pour ses visiteurs: le rachat du premier quotidien économique français par le milliardaire Bernard Arnault, une opération contre laquelle ceux-ci se battent depuis le début de l'été.
Erik Izraelewicz et ses collègues n'en croient pas leurs oreilles. D'un ton cassant, Nicolas Sarkozy leur déclare qu'ils sont idiots de refuser le rachat, qui a été annoncé le 5 septembre: Bernard Arnault, leur explique le président, est un homme très bien, et "il va investir" dans leur journal...
Catherine Pégard, la conseillère de l'Elysée qui a organisé la rencontre, semble surprise du tour pris par la conversation. L'ex-journaliste politique au Point pensait sans doute également que le Président avait prévu d'échanger sur l'actualité économique et sociale.
Arnault, ami proche de Sarkozy (il a été son témoin de mariage) a déboursé 240 millions d'euros pour reprendre le titre économique au groupe britannique Pearson. Pour protester contre cette annonce, une large majorité de la rédaction avait voté la non-parution du quotidien (par 162 salariés contre 12 et 7 abstentions).
Pour un quotidien économique, il n'est jamais sain d'être détenu par un acteur important de l'actualité des affaires, qui plus est lorsqu'il est présidé par un intime du chef de l'Etat.
A la fin de l'entretien de vendredi soir, Nicolas Sarkozy lâche, sec: "Et Nicolas Beytout?" Silence de mort des visiteurs, estomaqués. Beytout, directeur des rédactions au Figaro, était l'un des invités de la soirée de victoire au Fouquet's, au soir du second tour de l'élection présidentielle. Pour Nicolas Sarkozy, Beytout, un journaliste, serait une garantie d'indépendance. Rompant le silence, Sarkozy répète:
"Et Nicolas Beytout?"
C'est désormais officiel: le Président de la République annonce lui-même les nominations des patrons de presse! Nicolas Beytout, actuellement directeur des rédactions du Figaro aurait négocié un poste plus large que celui de simple directeur de la rédaction des Echos (qu'il a déjà occupé): il serait nommé à la tête du holding qui coiffe Les Echos, Di group ou d'une nouvelle structure nommée LVMH Médias. Et serait chargé de mener la stratégie d'investissements du groupe Arnault dans divers médias: papier (Pearson compte encore vendre le Financial Times), audiovisuels (que va faire Bouygues de TF1?), ou internet.
Beytout, que nous avons contacté dimanche, s'est déclaré surpris par la scène de l'Elysée: "Je ne suis pas au courant. Mais racontez-moi, que s'est-il passé?". Interrogé sur son départ du Figaro, il a démenti, tout en ajoutant: "Je n'ai pas parlé à mon actionnaire [Serge Dassault, ndlr]".
Un jeu de chaises musicales entre Le Figaro et Les Echos
Selon des sources internes au Figaro, tout serait déjà bouclé, et un remaniement de la direction de la rédaction pourrait être annoncé dès ce lundi.
Pour remplacer Beytout à la tête des rédactions du groupe de presse, Serge Dassault ferait appel à un petit nouveau: Etienne Mougeotte, ex-numéro 2 de TF1, récemment recasé à la tête du Fig-Mag.
Pour seconder Mougeotte, Jean-Michel Salvator, directeur adjoint du Figaro prendrait la tête du quotidien et Alexis Brezet, directeur adjoint du Fig-Mag prendrait la tête du magazine.
En interne, les équipes du Figaro sont particulièrement démotivées par ce nouvel épisode. Une partie des cadres craignent des interventions de plus en plus fréquentes de l'actionnaire. Selon l'un d'entre eux:
"Beytout a fait environ 1 000 numéros, et pas un jour il ne s'est senti en danger. Il a refusé plusieurs papiers que voulait imposer Dassault, et j'ai été surpris de sa longévité. Il avait assez d'étoffe pour résister. Pour nous, son départ est potentiellement une catastrophe."
Mais un autre confrère, lui aussi sous le sceau de l'anonymat, tempère:
"Beytout répète dans tous les dîners en ville que le Figaro ne s'est jamais aussi bien porté que depuis qu'il en est le directeur, mais ça commence à se savoir que l'ambiance n'est pas bonne et que les résultats ne sont pas éblouissants."
Les recettes publicitaires auraient fortement reculé sous sa direction, et les chiffres de diffusion ne seraient pas folichons, alors que la tendance générale en cette année électorale a été plutôt favorable aux quotidiens.
A.S., D.S. et P.R.