Tribune d'André Laignel député européen Marie-Noëlle Lienemann députée européenne et Paul Quilès ancien ministre, maire de Cordes-sur-Ciel, animateurs de Gauche Avenir.
Publié dans Liberation.fr du 15 Février 2008
L’illustration du Léviathan, œuvre du philosophe politique anglais Hobbes, représentait le roi tenant à la main droite le glaive, à la main gauche la crosse : César et pape tout ensemble, pouvoirs spirituel et temporel réunis, le destin de tous confié à un seul. Pour Hobbes, tout régime politique est en effet «par définition, absolutiste». Cette image, qui renvoie aux idées et à la philosophie du XVIIe siècle, serait-elle celle d’une «Césaropapie» révolue ? Eh bien non ! Il semble qu’en ce début de XXIe siècle, Nicolas Sarkozy ne refuserait pas de céder à cette tentation. Ce serait même pour lui, sous prétexte de moderniser la France, une façon de rejeter l’originalité fondamentale de la République française, indivisible, laïque, démocratique et sociale.
République indivisible ? Nicolas Sarkozy introduit une différence entre les citoyens croyants et non croyants. Chanoine d’honneur de Latran, il déclare : «Je suis comptable des espoirs que le déplacement du pape courant 2008 suscite chez mes concitoyens catholiques et dans de nombreux diocèses.» Les autres n’auraient-ils pas d’espoir ? Si Nicolas Sarkozy était le connaisseur de Jean Jaurès qu’il feignait d’être pendant sa campagne présidentielle, il aurait adjoint l’espoir de tous ceux qui luttent et qui se donnent «aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense». Puis le voilà en voyage au Moyen-Orient, qui s’enflamme : «A travers vous, j’adresse à toute la nation saoudienne le salut fraternel de la France. Ce salut, je veux l’adresser aussi à la nation arabe et à toute la communauté des croyants.» Là encore, l’opportunisme et l’utilisation hâtive de termes superficiellement assimilés l’amènent, dans un des pays musulmans les plus conservateurs, à considérer comme intangible une communauté si prégnante qu’elle interdit à ses membres de renoncer à leur foi ou d’en changer, voire même de se marier hors de la communauté. Là aussi, quelle piètre défense de la liberté de penser et donc de la liberté inscrite dans la devise de notre République !
République laïque ? Ecoutons encore : «Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en rapproche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.» Nicolas Sarkozy oublie Guy Môquet, ou plutôt il pense que les Français ont oublié son hold-up idéologique. Les enfants et petits-enfants de résistants non croyants ont sûrement apprécié ! Quant à la «radicalité du sacrifice de la vie», il faudrait se souvenir qu’elle guide aussi les terroristes kamikazes… On se demande si Nicolas Sarkozy ne se posera pas bientôt la question : les non-croyants ont-ils une âme ? Cette hiérarchisation des citoyens est insupportable et contraire à l’égalité inscrite dans la devise de notre République.
Nicolas Sarkozy semble oublier que notre destin commun est la laïcisation de l’Etat. Historiquement, tous les actes de la vie civile ont été progressivement soustraits à l’emprise religieuse. Notre état civil prend définitivement forme en 1792, avec le pouvoir exclusif donné aux communes de recueillir «les actes destinés à constater les naissances, les mariages et les décès». Mais il faudra attendre 1972 pour que soit supprimée la demande faite aux jurés d’assises de porter serment «devant Dieu et devant les hommes». La loi de 1905 instaure la séparation, mais sa mise en pratique fut un combat quotidien. Plus près de nous, la publicité parodiant la Cène retirée de l’affichage, l’attentat lors de la projection de la Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese à Paris, les attaques contre la liberté d’expression à la sortie des Versets sataniques de Salman Rushdie ou la récente controverse sur les caricatures de Mahomet sont autant de signes qui démontrent la nécessité de la laïcité et son actualité.
Au moment où la société française est plus que jamais fragmentée, le combat laïc est un combat contre l’obscurantisme. Le «sermon» de Nicolas Sarkozy sur les «racines religieuses» du monde a de quoi inquiéter : «Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme. Dieu qui n’asservit pas l’homme mais qui le libère. Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes. Dieu qui, par-delà toutes les différences, ne cesse de délivrer à tous les hommes un message d’humilité et d’amour, un message de paix et de fraternité, un message de tolérance et de respect.» On frémit en pensant à ce qui pourrait advenir de notre société si Dieu n’existait pas !
L’urgence, aujourd’hui, c’est de rappeler que la laïcité est le socle du pacte républicain, inséparable de la démocratie, de la justice sociale, de la solidarité et de la paix civile. C’est aussi de réaffirmer que l’éducation est au centre de la démarche laïque. Il faut refuser l’introduction dans la Constitution d’un concept de «discrimination positive». En revanche, il serait utile d’édicter une charte de la laïcité dans les entreprises, dans les services publics, notamment dans les hôpitaux, où les personnels sont de plus en plus confrontés à des pressions religieuses inacceptables. Pourquoi ne pas donner à ce combat une dimension plus large, en créant un espace mondial de la laïcité, à l’image de ce qui a été réalisé avec la francophonie ? C’est là un noble enjeu de civilisation ! Face à la tentation de confondre le spirituel et le temporel, il faut plus que jamais défendre la laïcité.