Les données publiées par l'Acoss[1] (Agence centrale des organismes de sécurité sociale) font état de 145 millions d'heures supplémentaires pour le dernier trimestre 2007.
Quel a été l'effet de ce dispositif sur le pouvoir d'achat des salariés ? Pour le mesurer, il faut distinguer « l'effet volume » - y a-t-il eu davantage d'heures supplémentaires effectuées ? - et « l'effet prix », c'est-à-dire le gain lié au fait que les salariés concernés n'ont plus de prélèvements sociaux autres que ceux propres à l'entreprise (mutuelle, ticket restaurant, ...) sur leur salaire brut.
La difficulté pour chiffrer l'effet volume est que le nombre d'heures supplémentaires était, jusque là, assez mal connu, notamment parce que certaines entreprises à l'horaire de travail habituellement supérieur à la durée légale hebdomadaire ne déclaraient pas forcément ce surplus d'heures, comme le souligne le service statistique du Ministère du travail (la Dares). Toutefois, si l'on s'appuie sur les données déclarées en 2003, 32 % des salariés du secteur privé ont effectué au moins une heure supplémentaire déclarée, et chacun d'eux en a cumulé au total 55 heures en moyenne dans l'année, soit 5 heures par mois[2] pour chacun des salariés concernés. Au 4è trimestre 2007, chacun des salariés ayant travaillé en heures supplémentaires en a, en moyenne, effectué 4 heures et demi par mois. Il n'y a donc pas eu d'augmentation du nombre moyen d'heures supplémentaires. En revanche, cela a concerné une proportion nettement plus importante de salariés : 59 %, soit, en nombre de salariés concernés, deux fois plus de salariés qu'en 2003[3].
Au total, le nombre d'heures supplémentaires a donc approximativement doublé d'une période sur l'autre. Le dernier trimestre de l'année est cependant caractérisé habituellement par une plus forte proportion d'heures supplémentaires. Et, de fait, les heures supplémentaires déclarées en janvier 2008 par les entreprises astreintes à la déclaration mensuelle de leurs cotisations sont moindres qu'en décembre 2008 : 43 millions d'heures contre 46[4]. Mais comme la différence est minime, retenir une multiplication par deux du nombre d'heures supplémentaires déclarées est un ordre de grandeur qui paraît assez réaliste. Voilà pour l'effet volume.
Qu'en est-il de l'effet prix, c'est-à-dire des gains de pouvoir d'achat ? Les salariés concernés ont perçu environ 2 milliards d'euros de salaire supplémentaire au titre des heures supplémentaires au cours du 4è trimestre[5]. En l'absence du dispositif, il y aurait eu moitié moins de salariés concernés et chacun n'aurait reçu en net que les quatre cinquièmes de son salaire brut, au lieu d'en recevoir la totalité. Le surplus net pour l'ensemble des salariés est donc de 1,2 milliards d'euros sur le trimestre par rapport à la situation antérieure, sans compter les heures supplémentaires des salariés hors champ Urssaf (voir note 1) et les réductions - à venir - d'impôt sur le revenu. Durant le même trimestre, et sur le même champ, l'ensemble des salaires bruts s'est élevé à 117,4 milliards, soit environ 94 milliards de salaires nets. Le gain de pouvoir d'achat issu de cette mesure sur onze mois travaillés sera donc de l'ordre de 1,2 %.
Mais à quel prix ? Pour la collectivité, les exemptions sociales de ce 4è trimestre, que l'Etat devra rembourser aux organismes de protection sociale, se sont élevées à 551 millions d'euros. Coût auquel il faudra ajouter les pertes de recettes fiscales correspondantes, sans doute de l'ordre d'une centaine de millions d'euros. Enfin, si les employeurs ont recouru massivement aux heures supplémentaires, c'est aussi parce qu'ils y gagnaient. Pas tellement en termes de coût horaire - la majoration de 25 % annule à peu près la réduction de cotisations sociales -, mais parce que confier le travail à effectuer à des salariés déjà en place plutôt que d'en recruter de nouveaux permet d'éviter d'avoir à trouver des mètres carrés et des équipements supplémentaires, ainsi que d'économiser certains coûts spécifiques : indemnité de précarité pour les CDD, recrutement, formation aux spécificités de l'entreprise, etc. Mais, à l'inverse, des créations de postes qui n'ont pas lieu, donc des chômeurs qui le demeureront un peu plus longtemps et du pouvoir d'achat que ne capteront pas ceux qui auraient pu être embauchés. Selon l'Insee, au cours des trois derniers mois connus (novembre 2007 à janvier 2008 inclus), l'emploi dans les secteurs principalement marchands n'a progressé que de 0,03 % contre 0,13 % pour les trois mois comparables de l'année précédente. Certes, la conjoncture y est sans doute pour quelque chose, mais est-il bien certain qu'elle soit seule en cause ?
Bref, la collectivité finance largement une mesure dont l'effet final aggrave les déficits publics, freine l'embauche, ... et n'améliore - modestement - le pouvoir d'achat que d'un salarié sur deux. Est-ce bien raisonnable ?
Notes
[1] Souvent appelée « la banque de la Sécurité sociale » puisqu'elle rassemble les Urssaf, qui collectent les cotisations de sécurité sociale d'un peu plus de 18 millions de salariés. Les particuliers employeurs à domicile, les administrations publiques, l'enseignement non marchand et la santé non marchande ne font pas partie de ce « champ Urssaf ».
[2] Compte tenu d'un mois de congés, le calcul du nombre moyen est effectué sur 11 mois.
[3] en partie peut-être parce que les heures complémentaires des salariés à temps partiel, effectuées en sus de leur horaire habituel, sont concernées par le dispositif.
[4] Ce qui n'a pas empêché la Ministre de l'économie de publier le 20 mars un communiqué titré « Le recours aux heures supplémentaires poursuit sa progression ».
[5] Les exemptions sur les cotisations salariales (407 millions) représentent environ 20 % du salaire brut. Ce dernier est donc cinq fois plus important et a été versé en quasi-totalité (seules ont été déduites les contributions à la mutuelle d'entreprise ou aux tickets restaurant).