Que M. Sarkozy déçoive est une évidence. Que la gauche doive formuler des contre-propositions pour l'avenir est une exigence. En voici quatre, originales, dans des domaines essentiels. Tribune parue dans Les Echos du 28 avril 2008.
Nous souffrons en France d'un lourd problème de compétitivité. Le plus inquiétant, c'est moins la question de nos coûts salariaux, relativement inévitables dans un pays très développé, que celle de notre insuffisance d'innovation et de recherche. C'est elle qui est déterminante sur le long terme. C'est par elle que nous ferons la différence dans la mondialisation. Puisque la France va présider l'Union européenne, je propose que nous lancions le projet concret d'une Coopération européenne pour la recherche et l'innovation (Ceri), nouveau moteur du développement. Osons mettre en commun nos budgets nationaux de recherche, créer un espace européen de l'innovation dont bénéficieront nos PME, abattre les murs qui fragmentent les parcours et les carrières de nos étudiants et de nos chercheurs. Proposons un seul ministère européen de la Recherche et de l'Innovation, doté d'une politique coordonnée. C'est ainsi que l'Europe et la France redresseront la tête et contribueront au développement durable.
Précisément, le péril environnemental constitue un deuxième et colossal défi. La détérioration écologique, si elle se confirme, provoquera des bouleversements économiques, sociaux, sanitaires et d'ordre public massifs. Plusieurs pays parmi les plus grands continuent d'agir - ou de ne pas agir - comme si de rien n'était. Pour concilier la protection de l'environnement et la concurrence internationale, je propose l'établissement d'« écluses écologiques » taxant l'importation des produits polluants, ou, davantage compatible avec les règles internationales, l'établissement d'une « pollutaxe » universelle. En bref, instituer un prélèvement écologique, modulé en fonction de l'impact environnemental des produits. Ce prélèvement sera faible ou nul sur les produits propres et significatif sur les produits polluants. Le montant en sera affecté à un Fonds mondial d'action contre la pauvreté. On objectera que ce mécanisme contredirait l'autorégulation économique : mais on voit les catastrophes auxquelles celle-ci aboutit ! Chacun admet qu'il faille mobiliser des centaines de milliards d'euros pour sauver des établissements financiers ; pourquoi, dans le même temps, serait-il impossible de protéger la planète et la vie humaine tout en favorisant la concurrence par cette pollutaxe universelle ?
La France connaît des problèmes spécifiques liés à son manque de stratégie industrielle et d'outils pertinents pour la mettre en oeuvre. Alors que beaucoup de pays se dotent d'instruments forts d'action publique, nous avons tendance, nous, à démembrer ceux que nous possédons, dans un grand mouvement anti-État qui nous affaiblit nous-mêmes. La vérité est que, si nous devons combattre la bureaucratie, nous avons besoin d'une puissance publique dynamique. Je propose que la France se dote d'un fonds souverain, constitué à partir de la Caisse des Dépôts. Il interviendra dans le domaine économique selon des critères éthiques analogues à ceux de l'actuel Fonds souverain norvégien. Il pourra être rapproché du Fonds de réserve des retraites. L'un et l'autre seront alimentés notamment à partir du produit des privatisations et des cessions immobilières de l'État. Si on veut éviter que notre industrie se délocalise systématiquement ou/et se fasse dominer par des pays tiers, ce « Fonds souverain France » ainsi qu'une politique monétaire européenne beaucoup plus pragmatique qu'aujourd'hui sont des voies nouvelles à explorer pour une stratégie de nos entreprises à la fois offensive et défensive.
Ma dernière proposition concerne le pouvoir d'achat. Le climat social dans notre pays se dégrade : perte d'espérance de la jeunesse, inquiétude des salariés, précarisation des retraités, voilà ce qu'on constate sur le terrain. En l'absence de perspective claire de redémarrage, le risque existe de tensions fortes à l'automne, notamment dans nos banlieues. Personne n'a rien à y gagner. Il est urgent que le pouvoir s'attelle sérieusement à la question de la dette, du logement, des services publics et du pouvoir d'achat. Qu'il revienne sur tout ou partie du paquet fiscal, ou plutôt du « boulet fiscal » afin de dégager des fonds pour ces priorités. Qu'il subordonne l'octroi des exonérations sociales à la conclusion d'accords salariaux. Et que les dirigeants en place commencent par montrer l'exemple. Le pire dans la situation présente est en effet que ce pouvoir ne présente aucune perspective de long terme, qu'il donne le sentiment de se préoccuper surtout de lui-même et ne dessine pas d'espoir.
Voici quatre propositions de fond. Elles sont cohérentes avec la vision d'une « économie sociale et écologique de marché » que j'ai proposée au PS et qu'il vient de reprendre dans sa nouvelle déclaration de principes. Ces pistes sont ambitieuses, concrètes, elles sont soumises à discussion. N'est-ce pas cela, d'abord, ce qu'on attend des responsables politiques ?
LAURENT FABIUS, ancien Premier ministre, député PS de Seine-Maritime.