Tribune d'Hélène FRANCO, juge des enfants et secrétaire générale du Syndicat de la magistrature publiée sur Politis.fr
Le président de la République est, notamment en matière de justice, un ennemi de la pensée complexe. Si, pour beaucoup, juger, c’est comprendre, Nicolas Sarkozy répète, lui, à l’envi, comme le 29 novembre 2007 après les émeutes survenues à Villiers-le-Bel, que « quand on veut expliquer l’inexplicable, c’est qu’on s’apprête à excuser l’inexcusable ».
Il récuse toute recherche des causes : « Les violences à Villiers-le-Bel n’ont rien à voir avec une crise sociale mais tout à voir avec la voyoucratie », gommant ainsi sa responsabilité de ministre de l’Intérieur et de chef de l’État dans ces événements. Il y a, dans le refus d’analyser et de comprendre manifesté constamment par Nicolas Sarkozy lorsqu’il parle de délinquance, une bonne part de démagogie. Les formules simplistes qu’il affectionne sont incontestablement efficaces en période électorale. En 2005, à la suite du meurtre d’une femme imputé à une personne ayant bénéficié d’une libération conditionnelle, il met en cause la juridiction ayant accordé l’aménagement de peine en déclarant : « Le juge doit payer pour sa faute », sans s’embarrasser d’exactitude, ne serait-ce que sur la procédure judiciaire (la libération conditionnelle avait été accordée par trois juges, avec l’aval du Parquet). De même, en juin et en septembre 2006, Nicolas Sarkozy décide de mettre en cause « le laxisme du juge des enfants de Bobigny » au moment des émeutes d’octobre-novembre 2005. Ne craignant pas de travestir la réalité en citant de pseudo-cas d’espèce qui se révéleront tous présentés de manière fallacieuse, le ministre de l’Intérieur dénonce « une forme de démission devant des délinquants chaque jour plus violents ». Il s’agit alors de dissimuler l’échec de la politique sécuritaire menée depuis 2002.
Mais le plus préoccupant, ce sont sans doute les convictions de fond de Nicolas Sarkozy sur la place des enfants dans notre société. Il manie une contradiction permanente entre, d’un côté, la nostalgie d’une autorité verticale, non discutée, entre parents et enfants, entre « maîtres » et élèves, et, de l’autre, le souhait de voir considérer les mineurs de 16 à 18 ans comme des adultes par la justice pénale. Le premier mouvement relève du registre passéiste, mis au service d’une dénonciation de Mai 68, qu’il convient de « liquider ». À l’inverse, Nicolas Sarkozy présente les adolescents comme des adultes à partir du moment où ils ont affaire à la justice pénale, avec des arguments aussi rudimentaires que curieux. Il insiste sur leur taille pour les assimiler à des adultes, comme si justement les transformations corporelles de ces jeunes n’étaient pas constitutives de leur malaise. Il les résume à leurs actes, en instrumentalisant les victimes : « Quand Mama Galédou se retrouve à l’hôpital de la Timone à Marseille, qu’est-ce que ça lui fait, à elle, de savoir qu’elle a été brûlée par un mineur [1] ? » Nicolas Sarkozy répugne à toute démarche d’introspection. À l’occasion d’un entretien avec Michel Onfray, le futur président de la République a déclaré, à propos du « Connais-toi toi-même » : « Fort heureusement, une telle connaissance est impossible, elle est même presque absurde [2] ! » Nicolas Sarkozy dit aussi sa foi dans le caractère inné de la pédophilie ou du suicide des jeunes… Rien d’étonnant à ce qu’il suggère de détecter les futurs délinquants dès le plus jeune âge, ou souhaite en finir avec la spécificité de la justice pénale des mineurs, qui repose sur une approche globale de l’enfant.
L’installation par Rachida Dati le 15 avril 2008 d’une commission chargée de « réécrire l’ordonnance du 2 février 1945 sur la délinquance des mineurs » fait craindre le pire. « Quant à vous, pour qui un crime d’aujourd’hui justifierait une punition d’hier, vous ne savez pas raisonner. Mais pis, vous êtes dangereux pour nous et pour vous-même, si du moins, comme nous, vous ne voulez pas vous trouver un jour sous le coup d’une justice endormie sous ses arbitraires. Vous êtes aussi un danger historique. Car une justice doit toujours s’interroger sur elle-même tout comme une société ne peut vivre que du travail qu’elle exerce sur elle-même et sur ses institutions [3]. » On croirait ces lignes de Michel Foucault écrites aujourd’hui. C’est à cela qu’on reconnaît un grand esprit, soucieux de comprendre.
[1] France 2, novembre 2006.
[2] Philosophie magazine n° 8, avril 2007.
[3] « Vous êtes dangereux », Libération, n° 639, 10 juin 1983. Republié dans Dits et écrits, 1954-1988. Tome IV : 1980-1988, Michel Foucault, Paris, éditions Gallimard, p. 522-524.