Discours du 1er juin 2008, de ce membre du Bureau national du PS, à la réunion du "Pôle des Reconstructeurs", en présence de Martine Aubry, Laurent Fabius, Jean-Christophe Cambadélis, Marie-Noëlle Lienemann, etc.
" Sans le Parti socialiste, l’alternance à la droite est une chimère. Mais, disons les choses, nous nous inquiétons pour notre parti.
Chers camarades,
Si nous sommes ici, c’est que nous aimons le Parti socialiste. Mais c’est aussi – disons les choses – parce que nous nous inquiétons pour lui.
Oui, nous voulons reconstruire le Parti socialiste. Non pas par corporatisme militant ou fétichisme d’appareil, mais parce qu’il est, les bons et les mauvais jours, le parti du socialisme – c’est-à-dire le parti de la transformation sociale et de l’émancipation de l’individu. Pour nous, l’une ne va pas sans l’autre. C’est même ce qui distingue le socialisme du libéralisme. Il est dommage que, dans nos rangs, certains l’aient oublié et que d’autres viennent seulement de le découvrir…
S’il faut reconstruire, c’est aussi parce que sans le Parti socialiste, l’alternance à la droite est une chimère – et plus encore face à Sarkozy qui a fait la jonction entre la droite et l’extrême droite dans les urnes, dans les programmes et jusque dans le ministère de l’Identité nationale et de l’Immigration. Reconstruire, c’est bâtir le grand parti de la gauche ! Et mettre un terme à cette peu glorieuse exception française : être un parti qui oscille autour de 23 % des voix et devenir un parti qui rassemble par ses seules forces au moins 35 % des électeurs – comme le font la plupart de nos homologues en Europe. Cet objectif est à notre portée, en attestent les résultats aux élections municipales et cantonales. J’ajoute – ce n’est pas anodin – que la question des alliances se pose en d’autres termes quand on fait 35 % au 1er tour et quand on atteint péniblement 25%...
C’est tout cela qui se jouera à Reims et c’est la prise de conscience de l’enjeu qui nous rassemble.
Notre Congrès ne sera pas un congrès parmi d’autres ou comme les autres. Il pourrait bien être, si chacun n’y prend pas garde, le dernier du Parti socialiste que nous aimons et que nous servons – un parti où l’on ne confond pas sa gauche et sa droite, réalisme et fatalisme, Europe ouverte et Europe offerte, suffrages et sondages, doctrine et discipline, section et sanction, militant et groupie. C’est pourquoi nous devons réagir ! Comme il y a le yin et le yang, le vide et le plein, le froid et le chaud, eh bien là où il y a des démolisseurs ou des liquidateurs, il faut des reconstructeurs.
A quoi ressemblera le PS lorsqu’il sera reconstruit ?
D’abord, il criera de nouveau ses indignations. Peu de Français doutent de notre capacité à gérer et à bien gérer le pays – et même à mieux le gérer que la droite. En revanche, beaucoup de femmes et d’hommes de gauche, de jeunes et de moins jeunes, de salariés et de retraités, s’interrogent sur notre capacité – et même sur notre envie – de nous révolter, de nous indigner, de dire « non ou de dire « stop ».
Prenez cette semaine, les occasions ne manquaient pas. Quand l’autre matin, N. Sarkozy, dès potron-minet, a affirmé à la radio vouloir « parler à la France qui se lève tôt, qui ne fait pas la grève, qui ne casse pas les abribus et qui n’en a pour autant pas moins de problèmes que les autres », le PS aurait dû faire feu de tous bois ! Et dire qu’il n’y a pas d’un côté la France qui travaille et de l’autre celle qui proteste, d’un côté le bon grain et de l’autre l’ivraie, mais un seul et même monde du travail, une seule et même France, qui souffre, qui galère, qui s’inquiète pour l’avenir de ses enfants ! C’était mardi, c’était jour de Bureau national, et qu’en est-il ressorti à l’extérieur ? Rien sinon que dans une fédération, on allait procéder à des exclusions – comme si le socialisme était un nombrilisme…
Autre exemple, plus grave encore : l’annulation par la justice d’un mariage entre pour « erreur sur les qualités essentielles » de la conjointe au motif que celle-ci n’était pas vierge ! Mes camarades, ce n’est pas parce qu’une nouvelle est relayée sur Internet et passe en boucle sur les chaînes d’infos en continu que ce n’est pas l’annonce d’un nouveau Moyen Age ! La décision rendue dans cette affaire est une atteinte à la dignité de la personne humaine, à l’intimité des femmes, à l’intégrité de leurs corps, à la laïcité dans notre République – et il fallait le dire ! Et le dire vite ! Et le dire fort !
Pas besoin pour cela de dépêche ou de sondage, c’est affaire de réflexe républicain ! Je le dis avec gravité et avec un peu de colère : oui, j’aurais aimé que les mots justes et forts prononcés par Elisabeth Badinter contre cette régression, fussent prononcés par le Premier secrétaire du Parti socialiste. J’aurais été fier de mon parti, j’aurais été rassuré pour mon pays. Seulement voilà, silence radio ou service minimum. Eh bien un PS reconstruit, c’est un PS où l’on n’oubliera pas, où l’on oubliera plus l’essentiel quand il est en cause.
Reconstruire le Parti socialiste, c’est aussi le mettre sur le chemin des propositions. A cet égard, notre diversité n’est pas une faiblesse, mais une richesse. Ensemble, nous voulons mettre la réflexion au cœur de notre vie militante, et non à sa périphérie ! Il est grand temps de cesser de dilapider l’énergie collective dans des expérimentations fumeuses et hasardeuses – elles n’ont pas manqué ces dernières années : un référendum interne pour se diviser, des primaires présidentielles avec interdiction faite aux candidats de se questionner, plus récemment des conventions nationales sur le marché, l’individu, la nation, sans amendement ni vote ! A contrario, souvenons-nous de 1997 : notre dernière victoire nationale avait été précédée d’assises de la transformation sociale. Peut-être que ceci n’est pas étranger à cela…
Alors, tirons les leçons de l’expérience : pour gagner en 2012, il faudra organiser en 2009 et 2010 une série de conventions nationales sur les grands enjeux – souveraineté politique dans la mondialisation, croissance économique et stratégie industrielle, vieillissement de nos sociétés, articulation entre l’Etat et les collectivités. Les questions ne manquent pas ! Il faudra aussi – parce que nous sommes dans une démocratie médiatique – créer notre propre chaîne de télévision sur le Net et mener, au moins une fois par an, une grande campagne nationale pour politiser et faire adhérer sur des bases politiques.
Une dernière chose : pour reconstruire, il faut éviter l’écueil du dogmatisme et sa version souriante, le conformisme. Cela vaut pour chacun car personne ici n’a à lui seul la clé de résolution des défis immenses qui nous sont posés. Dans la mondialisation financière, on a besoin d’un socialisme de la production, de la redistribution, de l’innovation, mais aussi d’un socialisme de la protection. Au nom de quel verrou idéologique, de quel renoncement politique aussi, faudrait-il que l’Europe – et la France en Europe – accepte le dumping fiscalo-social en son sein et qu’elle subisse du dehors la concurrence déloyale de produits qui ne respectent ni les règles sociales ni les normes environnementales ? Les Européens ne sont pas obligés de devenir les « idiots du village global » et c’est à nous que revient la mission de remplacer le libre-échange par le juste échange – si nous, les socialistes, ne le faisons pas, franchement, qui le fera ? Sûrement pas l’Internationale des libéraux qui compte chaque jour un peu plus de sympathisants !
Chers camarades, il y a encore beaucoup à dire et surtout beaucoup à faire. Reconstruire le Parti socialiste suppose de sortir du triangle des Bermudes : « sondages, image, naufrage » ! Appuyons-nous sur l’expérience – qui est grande – et misons sur le renouvellement – absolument vital. Et surtout, soyons fiers d’être socialistes. C’est parce que nous le sommes que nous sommes rassemblés ! Ce qui se passe ici aujourd’hui est peut-être le départ d’un nouveau départ pour notre parti et pour la gauche. Notre objectif n’est pas seulement, n’est pas d’abord, de changer des têtes au PS, mais de changer ce qu’il y a dans les têtes. Bonne journée et bon Congrès !
Lun, 02/06/2008