Des primaires socialistes ouvertes
La Commission socialiste sur les primaires, présidée par Arnaud Montebourg, propose de désigner notre candidat à l’élection présidentielle au moyen d’une «primaire de toute la gauche», sur le modèle italien . Tous les électeurs se réclamant de la gauche seraient invités à choisir entre des candidats émanant des divers partis ou associations progressistes. Le vainqueur, désigné par plusieurs millions de citoyens, bénéficierait d’une légitimité et d’une dynamique politiques formidables.
Cette procédure permettrait de surmonter la crise de leadership qui frappe la plupart des partis de gauche et de sélectionner le candidat le plus apte à l’emporter dans notre démocratie d’opinion. La proposition est séduisante, mais elle suscite toutefois cinq objections.
1. Tout d’abord, c’est une proposition irréaliste. Les principales familles politiques de la gauche veulent figurer dans cette reine de toutes les élections, qu’est, en France, l’élection présidentielle. Elles sont d’autant moins enclines aujourd’hui à passer leur tour, que la grave crise que traverse le Parti socialiste leur laisse espérer agrandir leur place au soleil. La primaire de toute la gauche existe, c’est le premier tour de l’élection présidentielle.
Une certaine pluralité des candidatures à gauche est souhaitable, à condition qu’il y ait un accord de désistement au second tour, fondé sur un contrat de gouvernement. En édifiant «la Maison commune de la gauche», c’est à cela que nous travaillons. Il faut ratisser large, si on veut rassembler ample.
2. La primaire de toute la gauche peut-être fortement contre-productive. Les candidatures seront nombreuses, puisque le rapport Montebourg recommande des «critères peu restrictifs» pour pouvoir concourir.
La campagne pour la désignation sera longue et âpre : les candidats mettront naturellement l’accent sur ce qui les oppose, non ce sur ce qui les unit. Les contentieux risquent d’être nombreux, car il est difficile d’assurer la sincérité du vote lorsqu’on ne dispose pas, pour l’organiser, de l’administration municipale. Si les primaires italiennes ont été bon enfant, c’est parce qu’elles étaient des primaires de ratification.
3. Romano Prodi avait été désigné par les partis formant la coalition de l’Olivier. Les primaires qui ont suivi visaient à ratifier ce choix par les électeurs afin de donner à Prodi une légitimité populaire qui lui manquait. Il en fut de même avec Walter Veltroni. Dans les deux cas, l’issue ne faisait guère de doute.
4. La «primaire de toute la gauche» qui nous est proposée est d’une toute autre nature. Il s’agit d’une primaire de désignation. Son enjeu est énorme, son issue est d’autant plus incertaine que les candidats socialistes en lice seront nombreux.
Le séquençage en trois étapes, proposé par le rapport - d’abord le vote dans 10 départements, ensuite dans 20, enfin dans toute la France - constitue une procédure lourde et peu conforme à notre culture politique. Les primaires à l’américaine sont adaptées au fédéralisme des Etats-Unis, elles ne sont pas transposables dans un Etat centralisé comme la France.
5. On peut faire confiance au Grand Communicant de l’Elysée pour stigmatiser la division et le nombrilisme de la gauche, contrastant avec l’unité et le sens de l’intérêt général de l’UMP et de son gouvernement. Sarkozy ne restera pas inerte. Organiser une confrontation aussi conflictuelle et complexe entre janvier et juin 2011, au plus fort de la crise, c’est donner à la droite des verges pour se faire battre.
A ces primaires de toute la gauche, j’oppose non pas des «primaires socialistes fermées», du type de celles que nous avons pratiquées en 1995 pour départager Henri Emmanuelli et Lionel Jospin, mais des «primaires socialistes ouvertes». Ces primaires sont socialistes, en ce qu’elles visent à désigner un candidat socialiste à l’élection présidentielle, et non un introuvable candidat de toute la gauche. Elles sont ouvertes, en ce qu’elles cherchent à associer un maximum de sympathisants et d’électeurs de gauche à cette désignation.
Ce vote devrait intervenir en juin 2011 et être précédé par trois mois de débat public entre les candidats socialistes à la candidature. Leur confrontation est essentielle, pour que chacun puisse se déterminer en connaissance de cause. La démocratie c’est le vote éclairé par la délibération.
Un grand Parti socialiste moderne doit être ouvert sur la société. Il doit associer les acteurs sociaux, les sympathisants, les électeurs à l’élaboration de ses propositions, mais aussi au choix de son candidat à la magistrature suprême. Mais il doit le faire selon des modalités qui lui permettent de maîtriser ce processus et non d’être dominé par lui. Parmi celles-ci, l’organisation d’un véritable débat public entre ses candidats à la candidature est décisive./.