Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, rappelle que les choix des missions de la police peuvent être la source des bavures.
Comment peut-on expliquer de tels dérapages policiers ?
Hélène Franco. Au-delà du fait divers en lui-même, la police connaît - aujourd’hui, sous l’impulsion notamment de Nicolas Sarkozy, un climat particulièrement mauvais. Le langage guerrier utilisé par de nombreux responsables politiques a mis la police dans une sorte de guerre. En témoigne tout le discours martial sur la reconquête des zones de non-droit. Ce sont aussi les choix politiques opérés depuis 2002 qui sont à l’origine de ce mauvais climat. Tout a été fait exclusivement en faveur d’une police de maintien de l, au détriment d’une police qui soit dans une mission de prévention, au fait des soucis et de la vie des habitants. Les policiers qui sillonnaient un certain nombre de quartiers avant n’y sont plus et ont été remplacés par des CRS. Mais ceux-ci n’ont pas dans leur formation le souci de la prévention et du dialogue.
Le rétablissement d’une police de proximité est-elle la solution à ces violences ?
Ce qui compte, ce sont les missions données à la police. En France, la priorité a toujours été de maintenir l’ordre et nous n’avons aucune police de prévention. Pourtant c’est ce dont l’ensemble des citoyens aurait besoin. Lorsqu’une dame âgée a peur de sortir de chez elle parce qu’il y a des jeunes dans le hall de l’immeuble, au lieu de créer un délit d’entrave à la circulation, on aurait mieux fait de créer une police qui puisse aller discuter avec eux tous. Le lien entre les gens est aujourd’hui absent des missions qu’on assigne aux policiers. Ceux-ci sont soumis à la dictature des chiffres et verbalisent à tour de bras. Il y a un véritable problème d’orientation concernant la sûreté urbaine. Nous pourrions régler bien des choses sans avoir une sur-judiciarisation et une sur-pénalisation comme aujourd’hui. En ce qui nous concerne, l’autorité judiciaire a pour mission de garantir les libertés et donc de contrôler l’activité des forces de police, mais ce n’est pas fait comme ça devrait l’être. Ainsi, contrôler les gardes à vue est de la responsabilité du parquet, s’il se déplaçait plus souvent dans les commissariats, cela changerait peut-être le climat au sein de la police.
Les violences policières seraient-elles plus nombreuses ces dernières années ?
La Commission nationale de déontologie de la sécurité a constaté une augmentation continue de ses saisines, notamment celles concernant la police. Un plus grand nombre d’affaires concernant des violences policières arrivent devant les tribunaux mais il est très difficile d’avoir des statistiques de la part du ministère de la Justice. À Bobigny, nous avons fait une étude sur les affaires pénales concernant des mineurs. Environ 25 % des dossiers concernent des faits d’outrage ou de rébellion à agents. Cela fait réfléchir parce que, en quelque sorte, ce sont ces mauvaises relations entre les jeunes et la police qui nourrissent les chiffres de la délinquance. C’est complètement paradoxal et cela crée une sorte de cercle vicieux./.
Entretien réalisé par Karine Parquet dans l'Humanité.fr du 7 Avril 2007.