Sur le site Philosophie et société une intéressante critique de l'ouvrage de Jacques Généreux [ Voir la rubrique A Lire ].
Économiste, professeur à Sciences Po., militant socialiste dans la gauche du PS, partisan du « Non au TCE » en 2005 qui n’a pas hésité à mouiller sa chemise pour expliquer et convaincre dans la campagne du référendum, Jacques Généreux mérite bien son nom !
La Dissociété est à la fois un réquisitoire contre l’idéologie dominante qu’on qualifie trop hâtivement de « libérale » ou de « néolibérale » et un cri d’alarme contre une transformation anthropologique qu’il voit à l’œuvre dans l’évolution actuelle du mode de production capitaliste, une mutation qui fait basculer « les sociétés développées dans l’inhumanité de “dissociétés” peuplées d’individus dressés (dans tous les sens du terme) les uns contre les autres. » (28) Il appelle à une « bataille culturelle » contre les « idées mortifères » qui fondent une « société » qui n’en est plus une, une société faite uniquement d’individus libres de tout lien avec leurs semblables, rivaux les uns des autres et finalement en guerre permanente. Face à cette « maladie sociale générative », Jacques Généreux veut contribuer à une prise de conscience politique, mais aussi morale : les liens sont plus importants que les biens, répète-t-il, et faute de la comprendre, nous allons droit à la catastrophe tant sociale qu’écologique. C’est pourquoi il faut « réveiller les citoyens » : « Il est temps de mettre chacun devant sa responsabilité. Pas la responsabilité individuelle des néolibéraux qui n’engage qu’à s’occuper de soi. Non, la vraie responsabilité, celle que doivent assumer les millions d’individus qui, dans une société humaine, attendent que d’autres s’en préoccupent. Le leader politique qui entreprend de lutter contre la dissociété doit commencer par déranger ses concitoyens, par les bousculer même. » (440)
Ne serait-ce que pour les trois premiers chapitres (« Crise du politique et crise sociale », « Du pacte social à la guerre économique », « De la guerre économique à la guerre incivile »), il faut lire et faire lire le livre de Jacques Généreux qui constitue un antidote aux discours fatalistes, écrit clairement et avec un souci constant de pédagogie. En contrepoint, il esquisse une conception de l’homme avec laquelle on peut être largement d’accord, une conception pourrait-on dire d’inspiration aristotélicienne : l’homme est un animal social, il n’existe que par ses liens sociaux et la conception néolibérale ou libériste qui fait des individus des sortes de « monades » ou d’atomes n’ayant avec les autres que des liens extérieurs est une pure absurdité… ne serait-ce que parce qu’aucun homme ne s’est fait lui-même : il est sorti du ventre d’une femme qui avait préalablement rencontré un autre homme ! Et cet enfant n’est devenu un homme (et c’est vrai même pour un « self made man ») que parce que des adultes ont pris soin de lui pendant un temps suffisant. Pour autant, Jacques Généreux ne se fait pas l’apologiste des sociétés « holistes ». L’affirmation de l’individu dans la philosophie libérale classique est considérée comme un progrès. Mais c’est parce que ses liens ses multiplient et s’élargissent que l’individu peut se penser comme un individu libre.
Où les problèmes commencent c’est lorsque Jacques Généreux cherche le fondement de la « maladie sociale dégénérative » contemporaine. Les chapitres 6 et 7 consacrés aux « fondements de la culture néolibérale et de la dissociété » portent sur « La nature humaine » (chap. 6) et « la nature de la société » (chap. 7). En étant peut-être un peu schématique, on peut dire que Jacques Généreux fait naître la « dissociété » de la conception moderne de l’individu dont il découvre les quatre fauteurs, Descartes, Hobbes, Rousseau et Marx. Pour parler franchement, en s’aventurant sur le terrain philosophique, Jacques Généreux accumule les contresens et affaiblit dangereusement le sens et la portée d’un livre qui aurait finalement fort bien pu se passer de ces deux chapitres centraux. Cédant à la mode de l’histoire des idées qui permet de résumer en quelques paragraphes des pensées philosophiques complexes pour faire entrer tout cela dans le lit de Procuste d’une thèse très unilatérale, Jacques Généraux visiblement ignore les problématiques des ces auteurs pour ne conserver que quelques thèses privées de chair et leur fait même parfois dire le contraire de que, pourtant, ils disent explicitement. .../...
La suite de la critique de "La Dissociété" sur le site de Denis COLLIN Philosophie et société