Hélène Mouchard-Zay, fille de Jean Zay, ministre du Front Populaire assassiné par la milice française, dirige le Centre de recherche et de documentation sur les camps d’internement du Loiret (CERCIL). Avant son départ pour Israël où elle doit participer, samedi prochain, à un séminaire sur l'enseignement de la Shoah, elle réagit à la proposition de Nicolas Sarkozy de faire porter la mémoire d’un enfant déporté aux élèves de CM2.
Propos recueillis par Mourad Guichard, parus dans Libé Orléans.fr du 16 Février 2008
LibéOrléans: Comment, à titre personnel, avez-vous reçu cette nouvelle ?
Hélène Mouchard-Zay : J’ai tout de suite été surprise et choquée. Cette annonce suscite beaucoup d’interrogations. La Shoah est, en effet, enseignée en CM2 depuis plusieurs années. Cette décision a été prise après qu’il y a eu un long débat sur l’opportunité d’enseigner cette page d'Histoire à d’aussi jeunes enfants. C’est désormais tranché. Il faut maintenant se poser la question de savoir comment l'enseigner. C’est ce que font de nombreux chercheurs, pédagogues, psychologues et enseignants depuis 1975. Mais cela, le président de la République semble l’ignorer…
Qu’est-ce qui a pu motiver cette annonce selon vous ?
Franchement, je ne sais pas. Peut-être l’envie de faire une annonce consensuelle à l’occasion du dîner annuel du CRIF (conseil représentatif des institutions juives de France – ndlr). En tout cas, je ne suis pas favorable au fait d’instrumentaliser cette période historique à des fins politiques.
Vous semblez critiquer sur la forme et le fond…
C’est l’Histoire qu’il faut enseigner à l’école. La mémoire, comme la venue de témoins directs par exemple, est un complément nécessaire. Il ne faut pas que l’enfant considère la Shoah comme une parenthèse historique sortie de son contexte. Elle est l’aboutissement d’un long processus. L’enfant doit savoir qu’à un moment, il aurait sans doute été possible de dire non pour que tout ceci n’arrive pas. Par cette proposition, on fragmenterait la mémoire. Un enfant de dix ans risquerait d'être écrasé par le poids d'une telle mémoire et de devoir vivre avec un fantôme, tout englouti dans l’émotion. On n'a pas le droit de risquer de lui imposer une telle culpabilité.
Ce n’est pas aux enfants d’assumer nos responsabilités d’adultes. La génération passée a cherché à protéger ses enfants de la violence de la Shoah. Ne tombons pas dans le travers inverse.
Pensez-vous que Sarkozy va faire marche arrière ?
Je crois qu’il ne va pas avoir le choix. Les réflexions de fonds sur ces questions ne peuvent s’accommoder d’injonctions médiatiques.
Recueillis par Mourad Guichard