Article paru le 7 février 2007 dans les Echos.fr de Gary Bonnand, secrétaire national à la CFDT, chargé de la protection sociale, sur le refus de certains médecins de recevoir et de soigner des malades bénéficiaires de la couverture maladie universelle, la CMU, et de l'aide médicale d'Etat.
Le 28 novembre dernier, au cours des Journées annuelles d'éthique, Didier Sicard, professeur de médecine à Cochin, déclarait : « J'ai honte d'être médecin. » Le président du Comité consultatif national d'éthique réagissait ainsi au refus de médecins de recevoir et de soigner des malades bénéficiaires de la couverture maladie universelle, la CMU, et de l'aide médicale d'Etat, l'AME. Le 25 janvier, un quotidien révélait les honoraires exorbitants que demandent certains médecins hospitaliers ayant un secteur privé au sein de l'hôpital public. Le prix de leur consultation ou de leur intervention est facturé jusqu'à quinze fois le tarif de la Sécurité sociale aux patients soignés dans le cadre de l'exercice privé de ces médecins.
Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie a mis à son programme un travail sur la rémunération des médecins exerçant sous le mode libéral. Il n'est pas encore terminé. Tout en analysant la complexité du système et en se montrant prudent sur les solutions, ce travail montre tout de même que le revenu des médecins libéraux a connu ces dernières années une progression moyenne largement supérieure à celle des cadres. En cette période où le pouvoir d'achat est une donnée sensible pour tous les Français et où les « élites » ont mauvaise presse, souvent accusées de vouloir préserver leurs privilèges, ces informations ne plaident pas en faveur des médecins.
On peut toujours mettre des manquements à la déontologie sur le compte de comportements individuels, mais il n'empêche que leur répétition - apparemment en toute impunité - peut conduire à une suspicion généralisée.
De même, la pression permanente des professionnels de santé pour obtenir l'augmentation du tarif de leurs actes est de plus en plus perçue comme une revendication corporatiste, bien éloignée de la santé des patients qu'ils prétendent défendre. Cependant, stigmatiser les médecins serait à la fois injuste et vain. Injuste, parce que ce serait ignorer que la très grande majorité des praticiens sont conscients de leurs responsabilités, qu'ils exercent dans des conditions parfois difficiles. Vain, car ce n'est pas en dénonçant un certain nombre de pratiques qu'on peut remédier à ce qui les cause.
En fait, c'est l'organisation de notre système de santé qui est en question. Les maux sont connus : manque d'articulation entre médecine hospitalière et médecine de ville, accès très inégal aux soins selon ses revenus et le lieu où l'on vit, augmentation des dépenses sans corrélation évidente avec l'amélioration de la santé publique... Les causes sont multiples - insuffisance de formation des professionnels peu préparés à la prévention, méconnaissance des dispositifs, exercice trop solitaire des praticiens, mauvaises habitudes des patients, relations méfiantes avec l'assurance-maladie, pression des lobbies, inconstance des pouvoirs publics, etc. Mais il en est une sur laquelle on ne met pas suffisamment l'accent : le mode de rémunération des médecins libéraux.
Près de 97 % de leur revenu provient du paiement à l'acte. Sachant cela, on comprend mieux la foire d'empoigne qui préside aux négociations des représentants des professionnels et de l'assurance-maladie, l'appel récurrent aux pouvoirs publics, le chantage de certaines organisations qui confine parfois à la prise en otage des patients. On peut comprendre qu'une profession recoure à tous les moyens à sa disposition pour défendre ses prérogatives. Encore faudrait-il ne pas oublier l'intérêt général.
A ce jeu, personne ne maîtrise plus rien. Ni le patient, qui voit sa facture, son « reste à charge », s'alourdir. Ni les assureurs, de base comme complémentaires, qui ne savent plus comment financer les remboursements. Ni les gouvernements, qui peinent à faire rentrer la réalité des comptes dans leurs prévisions de dépenses. Ni même les médecins et autres professionnels, confrontés à une « classification commune des actes médicaux » (qui fixe les tarifs) d'une extrême complexité.
Il ne s'agit évidemment pas de remettre en question de manière inconsidérée le paiement à l'acte. Mais nous savons, et nos responsabilités assumées à la CNAMTS (Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés) nous donnent l'expérience nécessaire pour fonder cette conviction, que ce mode de rémunération a aujourd'hui atteint ses limites. Il ne parvient pas à corriger les inégalités d'accès aux soins, notamment territoriales, ce qu'on appelle la « démographie médicale ». Il ne permet pas de rémunérer convenablement les missions de service public qui incombent aux médecins, telles que la permanence des soins. Il génère des dépassements d'honoraires qui instaurent insidieusement une médecine des « pauvres », souvent relégués à l'hôpital, et une autre pour des patients « normaux », autrement dit bien couverts par une complémentaire. Il est même devenu un obstacle à une organisation réfléchie et souhaitée par la majorité des acteurs du parcours de soins, à la mise en commun des compétences et expériences. Il n'autorise pas non plus un exercice plus partagé qui viendrait améliorer les conditions de travail des médecins, dont nous n'ignorons pas les difficultés.
Nous voulons que chacun prenne ses responsabilités. Nous savons que c'est possible, en redéfinissant les rôles des uns et des autres, en sortant du carcan de discussions uniquement préoccupées de prix et de tarifs. Ce n'est pas une utopie, c'est une nécessité.