Louis Gautier, délégué du Ps aux questions stratégiques, estime, dans Les Echos du 22 février que la construction d'un 2e porte-avions ne doit pas obstruer le débat présidentiel sur la défense. C'est une querelle hypocrite car les dés sont pipés depuis longtemps.
Constatons d'abord que la polémique, avivée par la droite après les déclarations de Ségolène Royal à Dunkerque, n'a pas grand sens. La candidate du PS peut dire qu'elle entend donner une priorité budgétaire à l'Education nationale sans renier pour autant son engagement à maintenir les crédits militaires. Il n'y a pas contradiction.
Constatons ensuite que la droite, depuis cinq ans, n'a pas fait preuve de beaucoup d'empressement pour acquérir un second porte-avions. La raison est connue : son coût. Mme Alliot-Marie, ministre de la Défense depuis cinq ans, est bien mal placée pour donner des leçons. A 60 jours de l'élection présidentielle, alors qu'aucune urgence ne le justifie, il est incorrect qu'elle veuille signer le contrat industriel du second porte-avions afin de rendre ce choix irréversible. C'est préempter un arbitrage qui appartient au prochain chef de l'Etat et à son gouvernement. Cette décision serait contraire à la tradition républicaine. Elle serait en outre irresponsable. Il manque aujourd'hui 70 milliards d'euros pour réaliser de façon nominale la programmation militaire arrêtée de façon irréaliste par la droite en 2003. Ne tirons pas davantage de traites sur l'avenir.
Notre modèle d'armée, quels que soient les résultats des élections de 2007, sera inéluctablement remis à plat. La programmation militaire devra être revue sérieusement et... sereinement. Ce travail ne peut être mené à la va-vite. Il repose sur l'examen des propositions des chefs d'état-major, l'étude de nouvelles offres industrielles et la consultation de nos partenaires européens pour les programmes en coopération. Revenons à la question de fond. Notre pays doit-il ou non disposer d'un second porte-avions ? Là encore il faut dénoncer les biais et faux-semblants. Puisque rien n'a été engagé plus tôt, si le second porte-avions était mis en chantier demain matin, il n'entrerait pas en service actif avant 2015. On nous chante donc une drôle de chanson quand on nous parle d'assurer, avec un deuxième porte-avions, la permanence à la mer du groupe aéronaval. La réalité est que le prochain chef de l'Etat, au cours de son quinquennat et, s'il était réélu, au cours de son second mandat, ne pourra compter que sur l'unique « Charles-de-Gaulle ». Fermez le ban !
Dans ces conditions, la Marine devrait se préoccuper impérativement de définir une doctrine de projection de la flotte qui tienne compte de l'indisponibilité pour réparation de notre seul porte-avions ; nos ingénieurs de l'armement devraient rechercher des solutions techniques qui permettent de réduire au maximum les longues périodes d'entretien de sa chaufferie nucléaire ; il faut enfin que l'état-major se prononce sur l'ordre de priorité qu'il donne aux trois grands programmes de modernisation de la Marine en phase de lancement : les 6 sous-marins nucléaires d'attaque, les 17 frégates multi-missions et le second porte-avions.
Etant donné les contraintes qui pèsent sur le renouvellement, le financement et la disponibilité de nos navires, il est légitime que la candidate du PS, pour des arbitrages qu'elle devra rendre une fois élue, parle le langage de la clarté. S'agissant du second porte-avions, elle dit simplement deux choses. Il faut d'abord veiller à ce que le coût de ce grand bâtiment n'obère pas la réalisation d'autres équipements plus immédiatement utiles. Il faut ensuite que ce second porte-avions s'inscrive dans la perspective à terme de la défense européenne. Pour l'une et l'autre raison, une coopération industrielle et militaire avec le Royaume-Uni est décisive. Il s'agit de partager des coûts avec les Britanniques mais aussi des vues sur les capacités militaires européennes, en particulier sur la définition des moyens et des concepts permettant en commun d'assurer la présence à la mer d'un groupe aéronaval européen. Or, sur tous ces points, les discussions avec le Royaume-Uni sont loin d'être conclusives. Ces faits têtus ne disparaîtront pas dans le tohu-bohu. Que chacun se prononce maintenant clairement et que l'on attende, pour arbitrer, qu'un nouvel exécutif soit élu.