Tribune publiée le 27 février 2007 dans l'Humanité par Denis Durand, membre de la Commission économique du PCF.
En 1990, la dette publique de la France ne représentait que 35,1 % du PIB. Ironie de l’histoire, c’est à partir de l’entrée en vigueur du traité de Maastricht (1992) qu’elle a commencé à exploser, pour atteindre plus de 66 % du PIB en 2005.
Il n’y a pas là de mystère : dans la zone euro, c’est au début des années 1990 que la croissance a « décroché » par rapport au reste du monde : les contraintes imposées aux politiques économiques depuis le début de la préparation du passage à l’euro ont dégradé l’emploi et freiné la création de richesses. Faute de recettes fiscales et sociales suffisantes, la « croissance molle » rend plus difficile le bouclage des budgets ; elle engendre ainsi des déficits qui alimentent la dette.
Comment sortir de l’impasse ? En favorisant la création des richesses nécessaires à l’élévation des revenus de tous et au financement des dépenses publiques utiles. Il conviendra alors de se souvenir d’une règle élémentaire de l’analyse économique : il est légitime pour l’État de s’endetter jusqu’à un certain point si les dépenses ainsi financées contribuent à élever le potentiel de croissance de l’économie nationale (qualité des emplois, formation des travailleurs, développement des nouvelles technologies, avec les investissements matériels qui permettent de les mettre en oeuvre). C’est cette croissance supérieure qui, dans un deuxième temps, permettra à la fois de rembourser la dette et de financer des services publics - efficaces.
La priorité n’est donc certes pas de comprimer à tout prix les dépenses publiques, mais bien plutôt de favoriser sélectivement les dépenses porteuses d’efficacité économique et sociale : services publics de santé, d’éducation, de recherche, de protection de l’environnement, financement des retraites et de la Sécurité sociale. On n’y parviendra pas par des mesures bureaucratiques mais en instaurant un contrôle citoyen sur les nouvelles procédures budgétaires créées par la loi d’orientation sur les lois de finances (LOLF), avec, en particulier, un contrôle décentralisé des aides publiques aux entreprises par les travailleurs et les citoyens.
Il conviendrait en effet de faire jouer pleinement aux prélèvements fiscaux et sociaux leur rôle d’incitation à la création de richesses dans les entreprises, en modulant le taux des impôts et cotisations sociales selon que les groupes donnent priorité à l’emploi ou aux opérations financières. Le levier le plus puissant pour pousser les entreprises à assumer leurs responsabilités sociales consisterait à agir sur le crédit bancaire. Ainsi, les aides publiques aux entreprises sous forme d’exonérations fiscales ou sociales, dont tout le monde reconnaît désormais l’inefficacité en termes de créations d’emplois, devraient être remplacées par des bonifications d’intérêt ou des garanties de crédits pour inciter les banques à financer les projets favorables à l’efficacité économique et à l’emploi. Ces interventions s’opéreraient sous l’égide d’un fonds national et de fonds régionaux pour l’emploi et la formation, ouverts à l’expression des exigences des salariés, des citoyens et de leurs représentants, et en liaison avec un pôle d’institutions financières publiques.
Cependant, agir au niveau européen est désormais aussi important que d’agir au niveau national. Plus de croissance, plus d’emploi et plus de dynamisme des entreprises en France ne peuvent se concevoir qu’avec une redéfinition des objectifs de la Banque centrale européenne, un contrôle démocratique de son action par le Parlement européen et les parlements nationaux, et le remplacement du pacte de stabilité budgétaire par un pacte de progrès social pour l’emploi et la croissance qui s’imposerait non seulement aux gouvernements européens, à la Commission de Bruxelles mais aussi à la Banque centrale européenne. Au lieu d’une concurrence mutuellement destructrice, une politique sélective du crédit bancaire et un objectif commun de développement de l’emploi en qualité et en qualité tireraient vers le haut la croissance et l’efficacité économique de tous les territoires européens. Ce serait la seule façon saine de maîtriser la dette publique en France et en Europe.