Droite . Au-delà de la posture affichée par François Bayrou, son programme s’appuie sur la même logique libérale que celui de Nicolas Sarkozy.
François Bayrou rêve d’un duel final entre lui et Nicolas Sarkozy. « La confrontation des projets serait plus nette que contre Ségolène Royal », dit-il. Stratégie de séduction à l’attention de l’électorat socialiste, appelé à le légitimer comme candidat de « centre gauche ». Centre gauche ? Voire. Outre quelques mesures à caractère social, la philosophie du patron de l’UDF penche franchement à droite.
Sarkozy-Bayrou : les deux hommes ont été ministres du même gouvernement (Balladur), sont des habitués des mêmes lieux de pouvoir. Tous deux ont fait campagne pour le « oui » au référendum sur la constitution européenne. De leur histoire commune, ils ont bien assimilé les enseignements. Comme le montre le décryptage de leurs mesures phares.
Pouvoir d’achat : vive les heures supplémentaires !
« Travailler plus pour gagner plus. » Les deux candidats sont tout à fait d’accord sur le principe... et sur la méthode. Ni l’un ni l’autre ne proposent une revalorisation du SMIC et des salaires. Mais, au contraire, une illusoire « libéralisation » des heures supplémentaires, présentées comme relevant du seul choix des salariés ! François Bayrou veut augmenter leur rémunération de 35 % (entre 35 et 39 heures). Nicolas Sarkozy de 25 %. En contrepartie, l’un et l’autre offrent aux entreprises des baisses ou exonérations de charges fiscales et sociales. Les deux candidats s’entendent aussi sur la « nécessité » de développer la participation des salariés aux bénéfices. Au final : une même politique qui vise à exonérer l’État de toute responsabilité en matière salariale. Mais aussi à dynamiter, sans le dire, les 35 heures. Loi qualifiée « d’autoritaire », par l’un comme par l’autre.
Travail : la précarité érigée en dogme
Sous prétexte de simplification, François Bayrou souhaite instaurer un « CDI unique à droits progressifs » augmentant avec l’ancienneté. Un patron clairvoyant verrait vite l’intérêt à licencier un salarié avant que cela ne lui coûte trop cher. Chez Sarkozy, ce contrat unique entend donner de la « souplesse » aux entreprises, pour « embaucher plus, plus vite et plus facilement ». Elles licencieront plus vite et avec plus de « certitude » aussi. Les salariés auraient en contrepartie une « assurance salaire et retour à l’emploi plus incitative ». Quelle meilleure « incitation » à la diminution des indemnités chômage ? Lesquelles seraient fondues, chez Bayrou comme chez Sarkozy, en une allocation unique. En contrepartie d’une obligation d’« activité ». Bref, les allocations deviennent le salaire !
Droit syndical : voilà le service minimum
Sûrement un (mauvais) souvenir des grèves de 1995, lorsqu’il était ministre de l’Éducation nationale sous Juppé... En tout cas, François Bayrou milite clairement pour un « service minimum garanti » dans les transports. Tout comme son compère Nicolas Sarkozy qui en a fait l’une de ses priorités.
Fiscalité : l’ISF toujours plus rogné
Aucun des deux candidats ne valorise l’impôt comme vecteur de redistribution, tous deux sont d’accord pour tarir les ressources de l’État. Pour Sarkozy, il s’agit de baisser de quatre points les prélèvements obligatoires, de supprimer les droits de succession, de défiscaliser les emplois de services à la personne. Pour Bayrou, il s’agit de « simplifier » l’impôt : il est alors moins progressif, donc moins juste. L’UMP veut de son côté abaisser le « bouclier fiscal » des plus riches : un taux d’imposition ne dépassant pas 50 % des revenus. Introduit dans la Constitution, pour rendre toute remise en cause quasi impossible. Sur l’ISF, Nicolas Sarkozy laisse prudemment le soin à l’UMP de défendre « la piste de l’exonération totale ou partielle de la résidence principale ». Chez Bayrou, l’impôt sur la fortune deviendrait à un taux léger d’« un pour mille » et à base élargie. Résultat, un rendement identique à l’actuel ISF. Sauf qu’étant payé par un plus grand nombre, il devient plus adouci encore pour les plus riches. « Il faut l’appeler impôt sur le patrimoine pour ne pas stigmatiser ceux qui le paient. »
Retraite : la route sera longue...
Sans surprise, les deux candidats, qui ont approuvé la loi Fillon, comptent bien mettre en chantier une nouvelle réforme des retraites. Leur philosophie ? Simple : supprimer l’âge limite de départ et pousser les salariés (« qui le souhaitent ») à travailler plus longtemps pour obtenir un meilleur niveau de pension. Les régimes spéciaux ? Oubliez-les ! François Bayrou propose leur « mise en extinction » progressive, en soumettant aux règles de droit commun tous les nouveaux embauchés. Nicolas Sarkozy, lui, annonce une profonde « remise à plat ». Question de sémantique.
Sécurité sociale : moins de remboursements
Pas de piste nouvelle de financement chez les deux candidats, sinon de piocher dans la poche des assurés. Instauration d’une franchise non remboursable de quelques euros par acte de soins pour l’UMP, instauration d’une taxe pour l’UDF, une « TVA sociale » : injuste par nature puisque pesant plus pour les ménages modestes, la TVA se verrait, dotée d’une nouvelle fonction, contribuer au budget de la Sécu.
Éducation : privilégier l’élite
Création d’« établissements d’excellence », pour Nicolas Sarkozy. Implantation de « classes d’excellence » dans tous les établissements scolaires, pour François Bayrou. Pas de doute, les deux candidats s’y entendent pour promouvoir l’élitisme. Mêmes exigences sur le contenu : le premier propose de recentrer l’école sur la transmission de « savoirs fondamentaux », le second souhaite définir un « socle de connaissances intangibles ». Bonnet blanc, blanc bonnet. Enfin, pour les élèves en échec scolaire ou jugés « turbulents », les deux candidats tombent d’accord pour organiser des placements dans des internats. De gré ? De force ? Silence radio. Tout comme sur les 50 000 postes disparus depuis cinq ans dans l’éducation nationale.
Fonction publique : réduction des effectifs
Sur ce point, Nicolas Sarkozy a le mérite de la franchise : il propose clairement de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux. « Des fonctionnaires moins nombreux, mais mieux payés. » Voilà son slogan. Une véritable saignée qui ne manquera pas de détériorer la qualité des services publics. Prélude à leur privatisation ? C’est l’idée de fond. François Bayrou peut, peut-être, faire pire. En tout cas, sa proposition de suppression du déficit de l’État en trois ans, au risque de paralyser l’économie, entraînera un gel des embauches dans la fonction publique et une sévère austérité salariale. Dans le meilleur des cas... Enfin, nos deux candidats se retrouvent pour manier la carotte et le bâton : Sarkozy, en souhaitant généraliser sa « prime au mérite » chez les fonctionnaires, Bayrou, en réclamant aux administratifs un « effort de productivité » de 2 % pendant six à huit ans.
Sécurité : le bâton... et le bâton !
Les deux candidats mettent l’accent sur la seule délinquance des mineurs. Chez Bayrou, « sanctionner tôt, dès le premier délit, serait bien souvent la meilleure prévention » : il faut « des sanctions qui remettront le jeune au contact de l’autorité : rigoureuses et éducatives ». Nicolas Sarkozy prend le relais pour se préoccuper des récidivistes avec, pour eux, des « peines plancher ». Les mineurs « multirécidivistes » de plus de seize ans, eux, seront jugés comme des adultes. Autre promesse : un durcissement sur les libérations conditionnelles et les remises de peine.
Immigration : « valeurs » communes
Si François Bayrou s’est démarqué de l’idée d’un ministère de « l’identité nationale », il n’a pas critiqué celle d’un ministère de l’immigration. Et pour cause, il en soutient l’idée. Selon le candidat UDF, un immigré clandestin « doit être reconduit ; reconduit le plus vite possible ». S’il est admis, il devra prouver son intégration à la société française, via « un programme d’intégration portant sur la langue française et nos valeurs, connaissance de notre mode de vie ». Pas très éloigné d’un Sarkozy proclamant à l’adresse des immigrés : « Si vous n’expliquez pas qu’il y a des valeurs que nous ne négocierons pas, qui s’appellent l’identité de la France, comment voulez-vous qu’ils s’intègrent ? » Nouvelle variante, proposée dimanche par Bayrou : l’immigration pourrait être rattachée à un « grand ministère sociétal », regroupant, entre autres, les personnes âgées, Internet, la jeunesse, les sports ou les associations... C’est tout ?
Grégory Marin, Laurent Mouloud et Lionel Venturini - Humanité.fr [ 19/03/07 ]