Tribune de Benoît Hamon, député européen (PS) dans l’Humanité.fr du 24/03/07.
L’Europe est en crise. Antonio Gramsci définissait la crise comme " la période qui caractérise le moment où le vieux est mort et le neuf hésite à naître ". Au moment où nous fêtons le cinquantième anniversaire du traité de Rome il est temps de nous pencher sur la raison d’être du projet européen.
L’adhésion des peuples est le seul ingrédient indispensable à la construction européenne. C’est pourtant ce soutien qui manque aujourd’hui. Ce qui grandit dans toute l’Europe, c’est le doute à l’égard de la construction européenne, l’incompréhension à l’égard de ses buts, le mécontentement à l’égard de ses politiques. Ce sentiment n’est pas encore majoritaire mais il grandit en raison des choix politiques réalisés au nom de l’Europe. Si ce soutien manque, c’est que la distance entre l’Europe affichée, l’Europe promise et l’Europe vécue, ou perçue, s’est creusée. Pourtant l’Europe peut être le moteur de changements positifs en France et dans tous les États membres. Pour cela, l’Europe doit commencer par bien faire ce pourquoi elle a été créée : assurer la prospérité économique, promouvoir la croissance et l’emploi. Je me concentrerai sur ce point car il est la clé du progrès social. L’Europe est mise en échec par les orientations macroéconomiques mises en oeuvre depuis plusieurs années. L’UE, qui reste pourtant la première puissance économique mondiale, connaît une croissance moyenne inférieure d’un point à celle des États-Unis et de quatre points à celle de l’Asie sur les vingt dernières années. Il est donc essentiel de reprendre le contrôle des instruments de la politique économique européenne. Je vois quatre priorités dans ce domaine. Aujourd’hui la BCE continue, au nom de la stabilité des prix, à encourager la modération salariale, à recommander une plus grande flexibilité du marché du travail et, encore récemment, à signaler les conséquences négatives pour l’emploi de l’existence dsalaire minimum. Simultanément, la politique de « l’euro fort » conduit nos entreprises, comme Airbus, à être moins compétitives que leurs concurrentes, qui facturent leur production en dollars. Résultat, on perd de tous les côtés : la modération salariale provoque un ralentissement de la demande intérieure et, parallèlement, la politique des changes entraîne baisse des exportations et pertes d’emplois. Il est donc devenu indispensable de modifier le mandat de la BCE et de renforcer le rôle des gouvernements dans les orientations de changes pour retrouver la maîtrise des principaux instruments des politiques macroéconomiques européennes. Si les États de la zone euro voulaient, par l’investissement public, prendre le relais d’une demande privée défaillante, ils ne le pourraient pas, ou si peu. En effet, le pacte de stabilité surveille sévèrement les déficits publics et pénalise les États contrevenants. Deuxième priorité, il est nécessaire de proposer une réforme durable du pacte qui favorise les dépenses d’avenir (la recherche, l’innovation, l’éducation) qui peuvent creuser provisoirement des déficits mais sont créatrices de richesses à moyen terme. Mais pour soutenir la croissance en Europe, préparer l’avenir et assurer la solidarité entre les États membres, il est aussi indispensable d’augmenter le budget de l’UE. C’est la troisième priorité. Le budget annuel de l’UE équivaut au tiers du budget de la France. C’est risible. Il est donc urgent d’augmenter les moyens de la puissance publique européenne. Cela suppose une modification des traités, qui autorise l’Europe à réaliser des emprunts et à lever l’impôt. La relance du débat institutionnel doit être l’occasion d’exiger ces modifications, absentes du traité constitutionnel soumis à la ratification des Européens. Enfin, il faut engager l’harmonisation de la fiscalité des entreprises dans la zone euro pour éviter les délocalisations et stopper la pression à la baisse des impôts sur les sociétés, créée par la concurrence fiscale. Le dumping fiscal provoque la baisse des recettes publiques et donc la diminution des moyens pour financer les politiques sociales et les services publics à la charge des États membres. La France et l’Allemagne peuvent prendre l’initiative d’un mouvement d’harmonisation dans ce secteur. Voilà quatre priorités pour changer l’orientation des politiques économiques européennes actuelles. Leur mise en oeuvre, même partielle, améliorerait sensiblement la situation sociale en Europe. Ce n’est pas l’Europe qui bloque le progrès, c’est la majorité qui la gouverne. Il revient à la gauche de proposer et de construire une alternative. Au coeur de celle-ci, il faut exiger la mise en oeuvre d’une nouvelle politique économique européenne.