Entretien avec Bruno Julliard, président de l’UNEF, dont le congrès du centenaire s’ouvre aujourd’hui à Lille, et qui publie Génération CPE (1), publié dans Humanité.fr du 22/03/07.
Votre congrès s’ouvre un an après le mouvement anti-CPE et un mois avant l’élection présidentielle. Quel fil tirez-vous entre les deux ?
Bruno Julliard. Nous souhaitons que les projets politiques des candidats soient la traduction des aspirations portées par le mouvement. De celles portées par la crise des banlieues exprimée à l’automne 2005, aussi, ou pendant le mouvement lycéen. Je n’adhère pas à la thèse selon laquelle il y a une fracture entre, d’un côté, une jeunesse dorée et, de l’autre, une jeunesse assaillie. Il y a un vrai malaise chez tous les jeunes, cible privilégiée des politiques libérales, et qui souffrent de la précarité grandissante du travail, du logement...
On a reproché à l’UNEF de s’être cantonnée au refus du CPE. Avec le recul, - regrettez-vous de ne pas être allé plus loin ?
Bruno Julliard. Oui et non. Nous n’avions pas le choix. Ce qui faisait la force du mouvement, c’était l’unité. Et ce qui faisait l’unité, notamment avec les organisations de salariés, c’était le CPE. Nous avons jugé que la priorité était de maintenir cette unité. Après, le rapport de force - 3 millions de personnes dans la rue à deux reprises - était exceptionnel. Peut-être nous aurions pu pousser plus loin, sur l’apprentissage junior par exemple. Cela laisse un goût d’inachevé, une telle mobilisation méritait plus que le - retrait du CPE.
Vous le dénoncez vous-même : depuis un an, rien n’a changé pour la jeunesse. Constat d’échec ?
Bruno Julliard. Non. La politique gouvernementale n’a certes pas changé. Mais les questions d’insertion professionnelle ou d’éducation sont devenues incontournables. On sent une prise de conscience nouvelle quand, avant cela, la jeunesse était méprisée, négligée. Les candidats, aujourd’hui, ne peuvent plus l’ignorer.
À tel point que beaucoup reprennent votre revendication phare d’une allocation d’autonomie. C’est donc - gagné ?
Bruno Julliard. Ce sera gagné quand la mesure sera votée, signée et mise en oeuvre. Les Verts et le Parti communiste la défendaient déjà en 2002. Cette fois, - Ségolène Royal le fait également. C’est source d’un grand espoir. Encore faut-il s’en donner les moyens. Nicolas Sarkozy parle de contrat d’autonomie, accompagné d’un système de prêts étudiants. Ce n’est pas ce que nous demandons. Nous voulons une allocation pour tous les jeunes de dix-huit à vingt-six ans qui sont en période d’insertion professionnelle ou de formation. Son montant doit être fixé en fonction de son revenu propre et non plus de celui de ses parents.
Ségolène Royal propose que les étudiants fassent du tutorat en contrepartie...
Bruno Julliard. Il y a deux questions à dissocier. D’une part la question sociale, de l’autre la mise en place de dispositifs d’aide aux lycéens. Les étudiants peuvent y participer, par exemple dans le cadre de contrats type MI-SE (maîtres d’internat, surveillants d’externat - NDLR). Mais si l’on parle de donnant-donnant, le premier devoir à remplir par le jeune, c’est de réussir ses examens ou de rechercher activement un emploi. Faut-il en rajouter ? Il faut convaincre l’opinion que la société a intérêt à avoir des jeunes formés. Les y aider n’a rien à voir avec de l’assistanat.
Dans les années quatre-vingt, on a parlé de « bof génération ». On accuse celle d’aujourd’hui d’être trop terre à terre. Cela vous irrite, semble-t-il...
Bruno Julliard. Complètement. C’est une réalité, elle est matérialiste. En comparaison avec celle de 1968, elle peut manquer d’utopies, quand sa première aspiration est d’avoir un travail, un appartement... Ce qui me dérange, c’est quand on ne va pas au fond du problème. Les étudiants d’aujourd’hui ne sont pas plus bêtes qu’hier. Mais cette génération tout entière est maltraitée par les politiques, le chômage, la précarité. Fatalement, cela conduit à une régression des ambitions. On a plus de mal à se demander comment on va changer le monde, quand on a déjà du mal à assurer son quotidien. Et puis, le « c’était mieux avant » m’énerve. L’an dernier, les jeunes ont montré qu’ils étaient prêts à défendre leurs droits collectifs.
Vous les sentez prêts à - repartir ?
Bruno Julliard. C’est le grand défi. Réussir à créer un mouvement qui ne soit pas uniquement en rejet de quelque chose, mais dans l’adhésion à un projet. Par exemple pour obtenir plus de moyens.
L’UNEF célèbre aujourd’hui ses cent ans. Qu’est-ce qui définit le mieux le syndicalisme étudiant de 2007 ?
Bruno Julliard. Le refus de l’ordre établi et la défense de convictions fortes. La stratégie, aussi : être le plus unitaire possible, tout en restant autonome et indépendant. Pendant le mouvement, plusieurs partis de gauche nous demandaient d’appeler à la démission du gouvernement ou de les mettre en valeur... Personne n’aurait osé cela avec une organisation de salariés. Mais c’est le propre des organisations de jeunesse : elles sont toujours soupçonnées d’être pilotées d’en haut et doivent sans arrêt faire la preuve de leur capacité à s’autogérer.
(1) Éditions Privé, 209 pages, 16 euros.
Entretien réalisé par M.-N.B. - Humanité.fr [ 22/03/07 ]
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