Tribune de Raymond Ouzoulias, inspecteur de l’éducation nationale honoraire.
Avec l’intervention des forces de police aux abords immédiats de quatre écoles publiques (dont deux écoles maternelles d’enfants de moins de six ans), et de plus à l’heure de la sortie des classes, un nouveau pas vient d’être franchi dans la remise en cause des fondements et des repères qui sont constitutifs de l’école républicaine et de la conception française de la citoyenneté.
Même si cette remise en cause n’est pas nouvelle (qu’on se souvienne, entre autres, des courriers envoyés par certains préfets à des chefs d’établissement leur demandant de bien vouloir leur communiquer les noms des élèves en situation irrégulière au moment de l’adoption des désormais célèbres lois Pasqua), sa forme d’expression (par le moment, les modalités et la violence de l’intervention, même si aujourd’hui des autorités les justifient par des prétextes dont la légèreté n’échappera à personne) marque une gradation inquiétante, au moment où l’ex-ministre de l’Intérieur et candidat à la magistrature suprême parle d’accoler l’identité française et l’immigration, événement qui dépasse dans sa signification symbolique les contrôles d’identité aux abords des « soupes populaires », intervenus ces derniers mois.
Et c’est pour cette raison que l’on peut « s’étonner » de l’absence de réaction, voire de condamnation de la part des autorités de l’éducation nationale (réactions qui avaient eu lieu après l’initiative des préfets en direction des chefs d’établissement il y a douze ans).
En effet, il ne suffit pas de dire que ces « événements » ont eu lieu en dehors des établissements, pour dédouaner ces responsables académiques et nationaux. Les directives envoyées aux chefs d’établissement comme aux directeurs d’école primaire, concernant, par exemple, les phénomènes de violence aux abords des écoles, leur demande de veiller à la sérénité et à la sécurité de ceux-ci.
Le trajet qu’effectuent les élèves entre l’école et leur lieu d’habitation est considéré comme un trajet scolaire. On pourrait, de plus, s’étonner que les fameux dispositifs de collaboration (excusez ce mot) police, justice, éducation nationale, vantés par le ministre de l’Éducation nationale à la dernière rentrée scolaire à grand renfort de publicité, n’aient pas ici fonctionné pour échanger avec les responsables locaux de l’institution scolaire, s’il ne s’agissait vraiment que de sécuriser le quartier, comme l’affirment aujourd’hui le commissaire de police et le ministère de l’Intérieur. Ou alors, s’ils ont fonctionné à un niveau supérieur à celui des directeurs-(trices) d’école, s’étonner que les autorités concernées du rectorat de Paris n’aient pas cru bon d’en avertir ces derniers.
Monsieur le ministre de l’Éducation nationale, si prompt à rappeler à l’ordre ses propres fonctionnaires, quant au choix de leurs méthodes d’enseignement et/ou de leur devoir de réserve, est aujourd’hui enfermé dans un silence assourdissant quand il s’agit d’une remise en cause de la place de l’école dans l’affirmation de son rôle dans l’éducation à la citoyenneté, et de sa place dans la constitution d’une culture commune et des principes d’universalité de son propos.
Oui, l’accès aux savoirs pour tous est constitutif de l’apprentissage de la citoyenneté qui présuppose la volonté de donner à chacun les moyens d’exercice de ces (et ses) droits et devoirs, y compris dans le refus d’obéissance à des règles dont l’application mettrait en cause leurs valeurs et principes fondateurs.
Outre les disparitions récentes de Maurice Papon et de Lucie Aubrac, le récent ouvrage de Marc Olivier Baruch, Au service de l’État, les fonctionnaires entre 1940 et 1944 (Fayard), réalisé à partir de recherches sur cette période, nous montre que le principe d’obéissance s’oppose parfois à ce qu’on peut appeler une certaine éthique de la responsabilité.
Je n’ai pas jusque-là évoqué l’arrestation et la garde à vue de Valérie Boukobza, que je connais et dont j’ai pu apprécier les qualités humaines et professionnelles dans mes différentes fonctions au rectorat de Paris comme conseiller du recteur et responsable académique de l’éducation prioritaire ou comme inspecteur du secteur des écoles concernées, parce que sa réaction à l’intervention policière (quelle qu’en soit la forme) ne se justifie qu’au regard du sens de sa mission et qu’en l’occurrence elle n’a fait, ici, que ce que l’institution doit attendre de ses fonctionnaires, surtout, lorsqu’ils exercent des responsabilités.
Enfin, doit-on rappeler les lois qui rappellent chacune à des périodes différentes les réglementations quant à la scolarisation des enfants étrangers et la nécessaire absence de mention, différence ou contrôle quant à la régularité du séjour des enfants et de leurs parents.
Avec les évolutions récentes, on peut légitimement se demander si l’on viendra aussi remettre en cause ces principes et ces règles.
Après l’éviction du recteur de Lyon, qui sonne comme une condamnation de son action contre le révisionnisme et pour la défense des principes de l’école publique, après les menaces de blâme d’un inspecteur pour des propos différents de ceux du ministre tenus dans un cadre non professionnel, après l’exclusion, (certes remise en cause suite aux nombreuses protestations) d’un chercheur faisant autorité, de la formation des cadres, va-t-on assister à des remontrances, sanctions, voire à une indifférence coupable face à une directrice d’école qui n’a fait que remplir sa mission en accordant son action aux principes qu’elle doit promouvoir auprès de ses élèves.
(*) Correspondant académique pour l’éducation prioritaire, conseiller du recteur de Paris (2001-2006).
Humanité.fr du 29 mars 2007