François Bayrou et Nicolas Sarkosy proposent , tous deux, la création d’un tel ministère. Le dernier en lui attribuant de plus la charge de « l’identité nationale ».
Par Émilie Rive ,entretien avec Jérôme Valluy, maître de conférence en sciences politiques à la Sorbonne
publié dans l'Humanité.fr [ 12/03/07 ]
Rappel des faits
Du discours aux préfets, le 5 mars, aux interventions de ces derniers jours, Nicolas Sarkozy brandit l’immigration comme thème de campagne et comme méthode de gouvernement. Il entend créer un ministère de « l’immigration et de l’identité nationale », et promet, pour le mois de juillet, une nouvelle loi obligeant les candidats au regroupement familial à parler français avant même d’arriver en France. Le ministère de l’immigration fait aussi partie, sans référence à l’identité nationale, du programme de François Bayrou. Réaction de Jérôme Valluy, maître de conférence en sciences politiques à la Sorbonne.
Comment analysez-vous les dernières déclarations de Nicolas Sarkozy sur l’immigration ?
Jérôme Valluy. Le discours du 5 mars est plus précis et plus fiable que les petites phrases à la télévision. Il est dans la droite ligne de sa politique, accréditant les thèses du Front national qui présentent l’immigration comme le problème central de la France d’aujourd’hui. Créer un ministère n’est pas un acte anecdotique, c’est une manière de construire « une catégorie de politique publique », de définir l’agenda politique, la priorité des sujets, la hiérarchisation des problèmes. Nous sommes face au discours de Jean-Marie Le Pen, avec, pour enjeu, la récupération de ses voix. Cela peut permettre à Nicolas Sarkozy d’atteindre cet objectif, mais il contribue surtout à faire monter en puissance ces thèses pour l’avenir. Nous sommes dans la même logique depuis 1980. Il peut aller jusqu’à créer un ministère de la préférence nationale, il sera en pleine cohérence avec lui-même. Une de ses dernières circulaires, qui propose l’aide au retour aux travailleurs immigrés en situation régulière, a fait franchir au débat politique un seuil considérable. Elle est passée inaperçue, mais c’est la première fois qu’a été avancée l’idée d’une politique de reconduite à la frontière des étrangers en situation régulière. C’est, purement et simplement, de l’épuration ethnique. Je ne lui donne pas cinq ans pour entrer dans une phase coercitive de renvoi de populations, qui ne seront plus définies par leur statut juridique, mais par leur ethnicité.
Nous avons des règles constitutionnelles, non ?
Jérôme Valluy. Les constitutions se modifient. Quand la volonté politique est là, le droit cède. Les lois antisémites ont été adoptées avec l’aval du Conseil d’État. Dans la surenchère antimigratoire, la prolifération législative joue un rôle caractéristique. Les réformes interviennent alors que les précédentes n’ont pas reçu tous leurs décrets d’application. Elles sont politiques bien avant d’être un outil technique. Leur portée principale est symbolique. Elles signifient aux Français que l’immigration est un problème crucial et qu’on s’en occupe. La question n’est pas de donner des moyens pour faire appliquer les lois précédentes, comme le dit Patrick Weil, mais de prendre conscience que nous sommes dans une course-poursuite un peu folle, qui échappe à toute rationalité démographique ou sociologique. Le problème n’est pas de lutter contre l’immigration, comme il le sous-entend, mais de lutter contre le nationalisme et la xénophobie.
La politique antimigratoire a fait mourir le droit d’asile en Europe, qu’elle assimile à l’immigration « délinquante ». Qu’en pensez-vous ?
Jérôme Valluy. En France, et plus encore en Grèce, en Italie et en Espagne, le droit d’asile étatique, prévu par la convention de Genève, ne protège plus personne. En revanche, le droit à l’asile peut s’exercer sans l’État et contre l’État, quand les citoyens ordinaires protègent les réfugiés. C’est une nouvelle forme de l’asile, avec ses prises de risques et... la marque de la bonne santé des Français.
Pour revenir à votre remarque précédente, comment lutter contre la xénophobie dans un monde politique qui refuse toute idée de libre circulation des personnes non européennes ?
Jérôme Valluy. La seule réponse est d’éclairer l’opinion publique. C’est un travail de longue haleine, de pédagogie, de la responsabilité de tous, pour faire comprendre qu’aucune société humaine n’a jamais été submergée par un tsunami migratoire. Cette idée relève du fantasme absolu. Il y a et il y aura toujours des migrations et nos frontières ne peuvent pas être fermées. Le seul résultat de ces politiques de rejet est de créer de la clandestinité, ce qui n’est pas bénéfique pour la société. Nous avons vécu avec des frontières ouvertes à des époques où les écarts de revenus entre l’Afrique et l’Europe étaient déjà grands. L’information circulait déjà, même sans la télévision. Donc, pourquoi ce qui était possible entre 1945 et 1975, ne le serait-il plus aujourd’hui ? N’oublions pas que 90 % des gens préfèrent vivre chez eux, mais en paix. Je trouve l’évolution du débat politique dans notre pays extrêmement alarmant. Il contraint les chercheurs à comparer la mise à l’écart des étrangers dans les années trente et ce qui se passe aujourd’hui, ce que nous allons faire lors d’une rencontre publique (1) du réseau scientifique Terra, le 3 avril, à la Sorbonne.
(1) Pour toute information : http://terra.rezo.net