Par Jean-Pierre Dubois, avocat, président de la Ligue des droits de l’homme.
L’élection présidentielle peut-elle faciliter la défense des droits de l’homme ?
Nous sortons de cinq années de régression des droits et des libertés sans précédent depuis 1945. Cinq années de contrôle social croissant débouchant sur une « société de surveillance » généralisée, de militarisation de l’emploi de la police dans les quartiers populaires (de contrôles au faciès en discours sur la « racaille », de stigmatisation des « marginaux » et des « différents ».
Cinq années de recul incessant des garanties judiciaires : on a vu à Outreau ce que valent la présomption d’innocence et les droits de la défense. Justice de plus en plus expéditive, condamnations de plus en plus lourdes, prisons de plus en plus remplies, recul de la prévention, en particulier pour les mineurs. Résultat : une société plus violente et plus divisée. Cinq années d’ajout de l’inégalité à l’inégalité, de la discrimination à la discrimination : on a chassé du système scolaire dès quatorze ans ceux qui auraient le plus besoin d’y rester, privé de prestations sociales les parents en difficulté, inventé un sous-statut pour les jeunes travailleurs, mis en place, sous prétexte de prévention de la délinquance, une véritable police municipale des familles. Cinq années au cours desquelles l’obsession « sécuritaire », loin d’avoir assuré les « sécurités durables », a mis le feu aux banlieues, créé un climat de profonde méfiance entre la police et la population et contribué à la « lepénisation des esprits ». Cinq années aussi de législation anti-étrangers. Toujours plus d’obstacles, d’arbitraire et d’insécurité pour les étrangers ; toujours plus de fichage et de répression pour les « délinquants de la solidarité » qui leur viennent en aide. Le droit d’asile devient l’exception, le regroupement familial est réservé aux plus aisés, tous les statuts sont précarisés à chaque nouvelle loi, la fabrique législative de sans-papiers bat son plein. On mène la vie dure à l’immigration « subie », celle des femmes, des enfants, du regroupement familial, pendant qu’on organise méthodiquement l’immigration « choisie »... par les employeurs : régime adouci pour les « compétences et les talents », sorte de coopérants à l’envers prélevés dans les pays du Sud pour enrichir les entreprises du Nord ; régime ultra-précaire pour les temporaires et autres saisonniers, dont le titre de séjour s’évanouit en cas de licenciement même abusif, ce qui devrait en faire des salariés corvéables à merci ; pour ne rien dire de l’armée de réserve des travailleurs sans papiers, qui fait les choux gras des patrons du BTP, de la restauration et du textile...
Cette surexploitation n’est bien sûr pas réservée aux travailleurs étrangers : les jeunes avec le défunt CPE, les salariés des PME avec le CNE, les uns et les autres avec le CDD et l’intérim qui représentent désormais 80 % des embauches, tous font l’expérience de la précarité rampante qui atteint désormais jusqu’aux cadres. Et Nicolas Sarkozy annonce, s’il est élu, un « contrat unique » de travail avec « séparation à l’amiable », comme l’explique la présidente du MEDEF. Sans commentaire.
Ajoutons-y la réforme Fillon sur les retraites, celle de l’assurance maladie que le ministre candidat promet là aussi d’aggraver en augmentant massivement le « ticket modérateur », la crise du logement qui fait qu’aujourd’hui un tiers de ceux qui dorment dans la rue sont des « travailleurs pauvres », comme si nous étions revenus aux temps de Dickens : voilà quelques dégâts du quinquennat écoulé. « Stop ou encore ? »
À quinze jours du premier tour de l’élection présidentielle, l’issue reste pourtant extrêmement indécise et aucune dynamique irrésistible ne s’annonce. Les candidats donnés en tête peinent à se différencier, les autres à peser suffisamment sur les alliances du lendemain du premier tour. Enfin, le rapport entre droite et gauche est profondément déséquilibré au point d’évoquer la présidentielle de 1969 (au second tour de laquelle sont restés face à face deux candidats de droite).
La LDH, association civique indépendante de tout parti, n’a pas pour vocation de soutenir un(e) candidat(e) à quelque élection que ce soit, mais elle a le devoir d’alerter les citoyens sur les conséquences de leurs votes pour les droits et la démocratie. Il y a urgence pour les droits, urgence de mobilisation puissante pour faire échec à la dérive vers l’extrême droite, pour sanctionner ceux qui ont abîmé les droits et les libertés, et pour peser vers des politiques clairement inverses, seules à même de rétablir l’effectivité de l’État de droit. Aux urnes !
Source : Humanité.fr du 7 avril 2007