Certains auraient bercé ou bercent les travailleurs de l'idée que la charge de travail de chacun peut être impunément minimisée sans que la société ait à en payer le surcoût. La France aurait ainsi été conduite à régresser économiquement, et tandis que le reste du monde travaille au pas redoublé, la société française se vautre dans un Club Med pour tous. Qui veut gagner plus n'a qu'à faire des heures supplémentaires. Ce discours UMPiste que Nicolas Sarkozy a beaucoup propagé rappelle quelques souvenirs américains.
A la fin des années 70, Ronald Reagan partit en campagne contre Jimmy Carter, démocrate affaibli par la deuxième crise du pétrole et par l'emprisonnement des membres de l'ambassade américaine à Téhéran. Le blason du Parti républicain, fortement amoché par l'affaire du Watergate, ne pouvait être relevé que par quelque détour de la logomachie politique. Pour vaincre le chevalier blanc qui avait ramené l'Amérique sur les sentiers de la droiture et de l'honnêteté, il fallait en appeler à d'autres valeurs morales, et faire en sorte que les démocrates apparaissent comme responsables de l'état de faiblesse et de démoralisation de l'Amérique du moment.
La campagne de Reagan fut tout entière tournée vers la dénonciation de la politique des démocrates : l'Amérique, disait-il, avait été débilitée par 30 années de keynésianisme, d'incitation à la paresse et à la dépendance sur l'aide sociale. Il dénonçait à l'envi celles qu'il appela les Welfare Queens les «reines de l'aide sociale» qui en vivaient sans travailler. Il fallait remettre l'Amérique au travail.
La «reaganomie» comporta une charrette : baisses des impôts et coupes claires du budget de l'aide sociale, dérégulations à tout-va afin de réduire le rôle de l'Etat et rendre la liberté aux entreprises, etc. On promit que les réductions d'impôts induiraient un cercle vertueux : l'argent restitué aux plus riches contribuables stimulerait les investissements et donc la croissance, ce qui assurerait in fine une amélioration de la recette fiscale qui comblerait le déficit public. Mais sait-on ce que la «reaganomie» en coûta aux Etats-Unis pendant deux ans ?
L'année suivante, le taux de croissance fut négatif et le chômage grimpa : 7 % en 1980, 9,3 % en 1982 un record de l'après-guerre. On vit se multiplier les bidonvilles surnommés alors «ranchs reaganiens» et s'allonger les queues devant les soupes populaires. Des cascades de faillites (70 000 en 1982) frappèrent les entreprises principalement des petites entreprises, mais aussi quelques «grandes» comme Chrysler. L'investissement baissa de 1 % tandis que le déficit du budget atteignit 140 milliards de dollars. On rogna sur le budget social : l'AFDC (l'aide aux familles avec enfants), les coupons alimentaires, l'aide médicale refusée dorénavant aux working poor, les programmes d'aide à l'emploi et d'aide au logement, le budget de l'éducation, et même l'aide alimentaire aux enfants des écoles on savait pourtant qu'un grand nombre de ces enfants ne mangeaient qu'un repas par jour. On omet souvent de dire que Reagan ne sortit l'économie américaine de la dépression qu'en recourant à de massives dépenses militaires en faisant du «keynésianisme militaire».
L'appel à «remettre la France au travail» n'a-t-il pas une valeur incantatoire pour effacer les années socialistes ? Certes, les réductions d'impôt accordées aux Français n'ont été «que» de 15 %. Mais, il a beaucoup été répété que diminuer la charge fiscale des plus riches et réduire une protection sociale excessive, «déréguler» l'emploi, seraient autant de clés ouvrant la voie à la prospérité que l'on voit régner là-bas, au paradis de la modernité. Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy a même rêvé de réduire les prélèvements obligatoires de 4 points «pour restituer aux Français 68 milliards d'euros».
Les années UMPistes ont-elles beaucoup inventé ? Trouvé des solutions «françaises» aux maux français ? Le chômage des jeunes, la violence urbaine, la dégradation de l'école, les tribunaux engorgés... Nous n'avons pas ici l'espace nécessaire pour évoquer la pratique américaine en matière de traitement de la délinquance urbaine. Mais que d'échos on y trouverait ! La situation française n'est peut-être pas enviable aujourd'hui. Il faudra peut-être accepter quelques potions amères, mais évitons les recettes d'emprunt et les slogans idéologiques. Dire que les Français ont perdu le sens du travail, c'est insulter ceux à qui le travail fait défaut.