Michel Rocard a appelé Bayrou et Royal à "s'engager dans la voie [d'une] alliance". Kouchner insiste : "A l'instar de nos voisins européens, cette gauche-là ne doit pas refuser l'alliance avec un centre rénové." Des socialistes leur répondent : Fabius, Jospin, Michel Charzat (député de Paris), Pascal Cherki (adjoint au maire de Paris), Bertrand Kern (maire de Pantin) et Alexis Corbière, 1er adjoint de Paris-12e, qui rappelle le fond de l'action et des idées de François Bayrou.
Laurent Fabius (14 avril)
La gauche peut et doit gagner. Pour cela, elle a besoin de clarté, pas de confusion ni de vieilles lunes. A une semaine des échéances et un moment où beaucoup d’électeurs hésitent, il est nécessaire de rappeler clairement des éléments simples.Le Parti Socialiste est un parti de gauche. Il agit dans le cadre du rassemblement de la gauche et des Verts pour changer profondément la politique économique, sociale et européenne actuelle.
Il n’est donc pas question que le PS s’allie avec l’UDF, formation de droite dont les choix politiques sont contraires aux nôtres.La gauche peut et doit gagner. Pour cela, elle a besoin de clarté, pas de confusion ni de vieilles lunes.
Lionel Jospin (17 avril) : l'alliance au centre n'est ni opportune, ni pertinente
Michel Rocard défendait déjà cette idée avant 1981. Si nous l'avions suivi, jamais nous n'aurions remporté la victoire du 10 mai 1981 avec François Mitterrand et la gauche. Cette idée d'alliance au centre n'est ni opportune, ni pertinente. Si c'est une tactique, elle n'est pas opportune. Elle crée la confusion et elle sert Bayrou, qui n'a en rien rompu avec la droite. Si c'est une stratégie, elle n'est pas pertinente car elle rompt avec la majorité du PS, qui est de rassembler une majorité de progrès autour de lui comme le font d'ailleurs les grands partis sociaux-démocrates. S'engager dans cette voie vouerait le PS à des majorités instables et changeantes et à une crise interne. Ecartons cette perspective au premier tour en votant socialiste et Ségolène Royal et au deuxième tour en votant à gauche et Ségolène Royal.
Michel Charzat (13 avril)
Depuis 30 ans, Michel Rocard affirme son désaccord avec la stratégie de rassemblement de la gauche, celle qui nous a permis de l'emporter et de mettre en place de grandes réformes. A dix jours du premier tour de l’élection présidentielle, Rocard propose un changement de stratégie à la candidate Ségolène Royal. Je considère que sa tribune accordée ce jour, 13 avril, au Monde est malencontreuse au moment où le débat présidentiel fait enfin ressortir les lignes de clivage entre droite et gauche, entre deux avenirs pour la France. Je constate que sa prise de position coïncide avec la campagne de la fausse gauche et de ses relais d'opinion qui martèle la théorie du basculement à droite de notre société. Les socialistes sont sommés, quelque soit le résultat de la présidentielle, de renoncer à leur stratégie et à leur identité. Seul horizon concevable: une grande coalition avec le centre droit et comme toile de fond l'Europe social-libérale. Je regrette les déclarations ambiguës de certains responsables socialistes qui se limitent à condamner la recherche d'une alliance avec l'UDF au premier tour sans l'exclure pour le second. Il faut à tout prix éviter que la campagne de Ségolène Royal s'embourbe dans un débat mortifère. Nous devons tenir bon sur la stratégie de rassemblement de la gauche, ne pas désespérer nos électeurs, et refuser cette ligne qui nous amènerait à la défaite et au renoncement.
Pascal Cherki (18 avril) :
« Michel [Rocard], tu as tort, l’alliance avec Bayrou n’est défendable ni sur le fond de notre projet politique, ni sur la stratégie. François Bayrou est de droite. Certes, d’une droite moins effrayante que Sarkozy, mais de droite. Cela signifie que nous sommes en désaccord sur la politique économique et sociale, du moins je l’espère sinon cela veut dire nous avons bien plus dérivé que ce que je pensais.
Or, ces différences économiques et sociales sont si substantielles qu’elles ne nous autorisent pas à gouverner ensemble. C’est d’ailleurs l’impasse dans laquelle se sont engagés nos camarades italiens et allemands. Qu’en revanche nous ayons des points de convergence sur la nécessité de réformer nos institutions, pour les démocratiser, c’est indéniable. Cela devrait donc inviter à Bayrou à appeler à voter pour nous au second tour. S’il ne le fait pas alors toutes ses attaques contre l’Etat UMP n’auront été qu’un vulgaire positionnement tactique et les masques tomberont. Au lieu de cela tu sèmes la confusion dans nos rangs à quelques jours du premier tour en allant jusqu’à dîner avec Bayrou et le faire savoir publiquement !Te rends-tu comptes que tu contribues à décomplexer des électeurs de gauche de voter Bayrou déjà chauffés à blanc sur le " tout sauf Sarkozy " qui aura malheureusement été notre principal viatique de campagne ?
Michel tu as eu tort et tu aurais tort de persévérer à moins peut-être que tu ne préfères l’élection de Bayrou à celle de Ségolène Royal. Dans ce cas ais au moins l’honnêteté de l’afficher comme Claude Allègre ! Ce serait plus clair. »
Bertrand Kern (19 avril) :
« Cette fausse bonne idée conduira inévitablement à une politique d'immobilisme, et pas avec les meilleurs, mais avec les pires de l'autre camp. Rappelons nous 1988 et la politique « d'ouverture » de Michel Rocard (déjà lui !), qui s'était soldée par l'entrée au gouvernement d'Olivier Stirn, de Michel Durafour ou de Jean-Pierre Soisson, des talents loin d'être les meilleurs de la droite ! »
Alexis Corbière (15 avril) :
Cher Michel, cher Bernard, Dans cette bataille politique difficile, car essentiellement idéologique et culturelle, vos déclarations nous font du tort, elles affaiblissent la gauche. C'est le programme à la main que je fais campagne, en expliquant notamment la réalité de celui du candidat UDF, bien loin de l'image sympathique et rassurante que l'on veut en donner. Mais vous, l'avez-vous lu ? Voyons si entre le PS et l'UDF "nous partageons les mêmes valeurs", et si refuser cette alliance est la marque d'un quelconque sectarisme.
> Sur l'emploi, opposé aux 35 heures, contre l'augmentation du SMIC, François Bayrou propose : "Il faut (que) ceux qui veulent travailler plus, soient libres de le faire" (Colloque "Réussir ensemble la nouvelle économie" 9/11/2006). Quelle différence avec le principal thème de campagne de Nicolas Sarkozy? Aucune. Aux employeurs, François Bayrou concède : "La hantise de ne pouvoir mettre un terme au contrat de travail est un frein puissant à la création d'emploi" (livre Projet d'espoir). Aussi pour lui il faut : "un CDI avec une prériode d'essai suffisante pour permettre de la souplesse en conservant de la sécurité" (entretien à l'Usine nouvelle du 15/03/2006). Il propose aussi un Contrat de travail, de manière encore vague, qui puisse être rompu par "consentement mutuel", comme lors d'un divorce. Mais tous les syndicalistes comprendront les dangers d'une telle modification car cela mettrait en place en réalité une sorte de "droit de répudiation" pour les patrons.
> Sur les retraites, non seulement les députés UDF ont soutenu la réforme Fillon contre laquelle toute la gauche s'est mobilisée (sauf vous il est vrai), mais il affirme encore aujourd'hui : "Le dernier gouvernement a fait voter une loi que j'ai soutenue, (mais ce n'est) que le tiers du chemin qu'il faudra faire" (livre Projet d'Espoir).
> Sur la fiscalité, question majeure car personne ne peut nier qu'une meilleure répartition des richesses est le coeur de toute politique de gauche, M. Bayrou déclare : "L'ISF a fait beaucoup de tort à la France, parce que, lorsque les riches s'en vont il s'agit d'un appauvrissement continu du pays." (Discours sur la social-économie du 23/02/2007). Pendant 5 ans de 2002 à 2007, tous les députés UDF ont voté toutes les scandaleuses mesures du gouvernement qui augmentaient les prélèvements pour les plus modestes et diminuaient les impôts pour les plus riches.
> Sur l'éducation, François Bayrou fut le premier ministre de l'éducation nationale à supprimer massivement des postes d'enseignants, à hauteur de 5000 postes pour la seule année 1997. Il inaugura la vague de suppressions de postes que la droite n'a cessé d'amplifier depuis. Il a également à son actif l'explosion de l'emploi précaire parmi les enseignants et la mise au chômage de 50 000 maîtres auxiliaires. Les aides sociales aux jeunes furent aussi dans le collimateur du ministère Bayrou entre 1993 et 1997. Il décida de la baisse brutale de l'allocation de rentrée scolaire de 1500 à 1000 francs. Et Bayrou, lorsqu'il a voulu réformer la loi Falloux, est le seul ministre à s'être vu retoqué par le Conseil constitutionnel pour méconnaissance des principes de laïcité de notre pays.
> Sur les institutions, il propose un régime présidentiel renforcé, c'est à dire la 5ème République en pire.
> Sur l'Europe, les eurodéputés UDF s'opposent à la directive cadre sur les services publics défendue par les socialistes français et la Confédération européennes des syndicats (CES).
> Enfin, sur l'immigration et la sécurité que les droites aiment tant mêler à des fins nauséabondes, Bayrou est loin d'être irréprochable. Déjà, depuis 2002, l'UDF a voté 9 des 10 lois sur la sécurité de Nicolas Sarkozy, et s'est abstenue sur la dernière concernant la délinquance des jeunes (les sénateurs UDF ont eux voté pour). Concernant l'immigration, l'UDF a voté les 4 lois proposées par Nicolas Sarkozy. Il a approuvé la prolongation pour trois mois de l'état d'urgence qui plaçait notre pays dans un véritable Etat d'exception. Dans le passé, Bayrou avait approuvé sans réserve les lois Pasqua de 1993 qui restreignaient fortement les possibilités d'acquisition de la nationalité française et légalisaient les contrôles d'identité aux faciès. Même chose lors des lois Debré sur l'immigration en 1997. Il refuse de se démarquer du gouvernement lors de l'évacuation de l'église Saint Bernard. En 1999, alors que le porte-parole de l'UDF Gilles de Robien se prononce pour le droit de vote des étrangers aux élections locales, il se dit trés reservé et refuse que cela soit la position officielle de l'UDF. Tout cela explique pourquoi il déclare le 23 mars 2007 à la Réunion : "Je suis favorable à ce que la nationalité française ne soit plus automatique, dès l'instant qu'en Guyanne ou à Mayotte, on est venu seulement pour accoucher sur le territoire national". C'est à dire une sorte de République à géométrie variable, au nom d'arguments mensongers, car la nationalité n'est plus automatique mais arrive au mieux à 13 ans dans certains cas.
Il ne sert à rien d'additionner des formations aux programmes incompatibles. En désorientant nos concitoyens, en leur expliquant que droite et gauche c'est finalement pareil, on alimente le discours frontiste. Depuis quand pour faire barrage à Sarkozy on fait alliance avec ceux qui ont soutenu sa politique et proposent la même chose pour l'avenir ?