Tribune de Bastien François, professeur de science politique à l'université Paris-I, et cofondateur de la Convention pour la VIe République (C6R). publiée dans le Monde.fr du 31/03/07.
A gauche comme à droite, le constat est quasi unanime : dans sa forme actuelle, la Ve République a fait son temps. Dans tous les camps, le diagnostic est le même : la concentration absolue du pouvoir d'Etat dans la personne d'un président de la République juridiquement et politiquement irresponsable n'est plus acceptable. A tel point que sept des douze candidats à la présidence de la République proposent de passer à une VIe République. Mais quelle VIe République ? Le plus constant est Jean-Marie Le Pen. Il en avait fait l'un des thèmes de sa campagne en 1995. Mais sa préoccupation est moins démocratique qu'idéologique. Son programme de réformes vise à graver dans le marbre constitutionnel les valeurs du Front national (comme la "préférence nationale").
De quoi pourra être responsable un premier ministre réduit à n'être qu'une simple courroie de transmission entre le président et le gouvernement ? De rien. Sera-t-il possible de contester devant le Parlement l'action du président de la République, de l'obliger à rendre des comptes ? Non, le président conservant de surcroît l'arme de la dissolution. Et puis, que se passerait-il en cas de cohabitation en l'absence de véritable premier ministre ? C'est l'infarctus qui menace notre système politique tous les cinq ans, et le césarisme présidentiel entre-temps. Autrement dit, la VIe République de M. Bayrou, c'est... la Ve République "en pire".
La plus prudente est Ségolène Royal. S'il ne faut pas méconnaître l'ampleur des réformes qu'elle propose (des droits nouveaux accordés à l'opposition au sein du Parlement jusqu'à l'ouverture de ce dernier à des initiatives citoyennes), tout comme la conception élargie qu'elle a de la VIe République (avec un fort volet de démocratie sociale), une importante ambiguïté demeure sur la nature des pouvoirs présidentiels et les conditions de leur exercice. Mme Royal promet certes de rompre avec le fonctionnement monarchique du régime, et sa VIe République est clairement parlementaire (le premier ministre n'est pas seulement nommé par le président, il doit être également investi par l'Assemblée nationale), mais le pouvoir gouvernant demeure bicéphale et, donc, pour partie irresponsable. Autrement dit, en l'état, la VIe République de Mme Royal, c'est... la Ve République "en moins pire".
Les plus audacieux sont les "petits" candidats de gauche, à l'exception d'Arlette Laguiller, qui ignore la thématique. Tous suppriment l'essentiel des pouvoirs du président de la République, voire son élection au suffrage universel direct. La VIe République de José Bové comme celle d'Olivier Besancenot est un régime d'assemblée, fondé sur la subordination complète du gouvernement à l'Assemblée nationale. Marie-George Buffet comme Dominique Voynet proposent un régime primo-ministériel gangrené par le poids du scrutin proportionnel et la limitation radicale des outils de rationalisation du parlementarisme. Autrement dit, à la gauche du PS, la VIe République, c'est... un retour à la IVe République.
Est-ce à dire qu'une VIe République rompant avec le présidentialisme irresponsable de la Ve République est impossible ? Qu'il est utopique de rêver pour la France d'une véritable démocratie parlementaire stable et efficace, sur le modèle européen, où le pouvoir gouvernant issu des élections législatives soit responsable de son action devant la représentation nationale ? Que le verrou de l'élection présidentielle bride toutes les initiatives de modernisation démocratique de nos institutions chez ceux qui ont quelque chance d'accéder à la présidence de la République ?
La campagne présidentielle n'est pas terminée. Le pouvoir gouvernant ne sera d'ailleurs attribué qu'au terme des élections législatives. L'idée d'une procédure constituante participative a été lancée. Il existe donc un espace politique suffisant pour relever le défi du contenu de la VIe République. Un défi qui pourrait se révéler gagnant si la gauche trouvait là un moyen de se rassembler.