Tribune de JEAN DE BELOT, associé d'Euro-ESCG publiée dans Les Echos.fr du 03 04 2007.
L'irruption, en fin de campagne, du thème de l'identité nationale est logique. Elle renvoie à une constante de notre vie politique, à ce débat ranimé en réalité à la chute du mur de Berlin et qui a trouvé son zénith dans le référendum de 2005 sur la Constitution européenne. L'actuelle campagne n'en est-elle pas, d'ailleurs, une espèce de réédition ?
L'examen de certaines déclarations suffit à s'en convaincre. Qu'il s'agisse des critiques de Nicolas Sarkozy contre la BCE, des débats sur Airbus et la nécessité de politiques industrielles européennes, qu'il s'agisse des propositions de Ségolène Royal d'instaurer une TVA sociale communautaire, de renoncer à la naïveté dans la politique commerciale de l'Union ou encore des débats sur la compétition fiscale ou sociale entre Etats membres, les candidats reprennent un à un les sujets de la campagne du référendum de 2005. Jusqu'à l'apposition donc, dans l'intitulé d'un seul ministère, des mots d'identité nationale et d'immigration et la question, enfin posée, du projet collectif, du sens de la nation.
Par un formidable déni de démocratie, l'après-« non » avait été géré par des tenants du « oui ». Voilà que les candidats majeurs de 2007, zélateurs appliqués du « oui », se réapproprient les thèmes de ceux qui appelaient à voter non voici deux ans, comme convaincus à leur tour qu'il fallait mettre un coup d'arrêt à une mécanique qui, loin de construire une Europe-puissance, continuait de ne fabriquer qu'une Europe-marché faisant fi de la prétention de peser dans le monde multipolaire de demain.
C'est en réalité un juste retour des choses. Car il s'agit du sujet de fond de la politique française depuis la chute du mur de Berlin. La construction européenne a alors changé : l'Allemagne est redevenue la puissance centrale du continent ; l'Angleterre a pu depuis dérouler sa vision du marché. Les nouveaux entrants ont trouvé dans l'Union le moyen d'un rebond économique. La vision française, elle, s'est alors bloquée, figée sur la conception d'un projet que l'histoire venait pourtant de bouleverser. Il est temps de le réaliser. Pour avoir dit non en 2005, la France a le devoir de proposer autre chose que de repasser en catimini le plat constitutionnel précédent, fût-il réduit. Elle y a aussi intérêt.
Quelle France dans quelle Europe ? En mal de repères, transmutée sur le plan de sa population, dégradée économiquement, ayant perdu son rang sur la scène communautaire, la France, pour espérer un possible rebond, doit en effet renouveler sa vision européenne. L'équilibre entre Etat et marché, celui entre Etat protecteur et Etat attractif, la correction du déséquilibre entre sous attractivité économique et sur-attractivité sociale ne peuvent trouver cohérence et emporter l'adhésion que dans le cadre d'un projet collectif plus large. Plus qu'un replâtrage ou l'adoption d'une constitution au rabais, la France, pour reprendre la main, n'a d'autres voies que d'oser un projet.
Celui-ci s'impose au regard des réalités. Qu'est-ce que la mondialisation sinon, aussi, la résurgence des puissances, des ambitions, des nations ? Cette réalité-là est partout, visible et revendiquée. L'Europe ne peut rester seule à croire à la vertu d'un seul « commercialisme » pour lequel elle n'est clairement pas la mieux armée. Aussi la France, membre fondateur et première nation du « non », a-t-elle une responsabilité. Celle de décrire une vraie relance européenne, qui passe, bien sûr, par le retour aux sources du projet. Proposer donc aux partenaires partants une avancée autour de vrais sujets régaliens, qui sont ceux de la puissance dans le monde d'aujourd'hui. Le proposer à qui ? Les Vingt-Sept, on le voit, ne peuvent véritablement bouger ensemble. Il convient donc d'envisager enfin la création de ce nouveau groupe pionnier dont il est question depuis quelque temps ; un groupe capable d'être demain un pôle d'attraction progressive pour les Vingt-Sept ; un groupe capable surtout d'organiser enfin une relation apaisée et de moyen terme avec les grands Etats qui sont à nos marches.
Il s'agit en fait de la seule façon de recréer un projet européen. Qu'importe, dès lors, que ceux qui le portent aujourd'hui aient, hier, dit oui ou non. Il s'agit, en 2007, de ne plus fuir le constat de 2005. Si la question d'un contenu modernisé de l'identité française, de la place du pays en Europe, est une nouvelle fois esquivée, elle reviendra régulièrement, empêchant toute véritable évolution à l'intérieur, continuant, à l'extérieur, de reléguer notre pays. Une campagne présidentielle n'est-elle pas l'affaire d'un projet destiné à décrire, proposer, oser un avenir ?