Que faire après la défaite ? s'interroge le délégué général de "Pour la République sociale". D’abord, admettre. Ceci pourrait paraître une évidence, mais le spectacle de ces militants de la Ségosphère dansant après l’annonce des résultats, encouragés du balcon par la candidate, montre que cela n’en est pas une. / Dans un deuxième temps, comprendre. La droite ne l’a pas emporté par hasard. / C’est pourquoi la gauche sera condamnée dans un troisième temps à se réinventer. Ce ne sera pas facile.
Pour se relever, il faut déjà réaliser qu’on est à terre. Et regarder la défaite en face. Au moins par cohérence. Après qu’ils aient dit et répété qu’ils avaient un « devoir de victoire », rien ne serait pire pour les socialistes que de donner le sentiment qu’en réalité leur objectif n’était pas celui-là. Le respect des électeurs l’exige aussi. Un vote a eu lieu, il doit être entendu. La décence l’impose également par rapport à la masse de ceux qui vont subir au lendemain de l’élection autre chose qu’un accident dans leur plan de carrière. Enfin, un devoir impérieux d’éducation politique l’ordonne. Il faut expliquer à tous ceux qui vivent leur premier engagement politique que les militants n’ont pas pour seul but de se faire plaisir : leur objectif est de convaincre le plus grand nombre pour changer la vie de tous. Dès lors ils se reconnaissent une responsabilité.
Dans un deuxième temps, comprendre. La droite ne l’a pas emporté par hasard. Et sa victoire n’est pas n’importe quelle victoire. Sarkozy, qui s’est vanté d’être le premier homme de droite à voir lu Gramsci (Le Pen l’avait fait avant lui) a reconstruit une hégémonie culturelle que les thèses libérales importées des pays anglo-saxons n’avaient jamais réalisée. C’est une vision globale de la société qui a triomphé. Il faut donc en comprendre les ressorts. Sa force a été de ne plus vanter la société telle qu’elle est, comme bien des conservateurs jusqu’ici, mais de reconnaître la crise et d’en rendre les plus pauvres responsables. Ce faisant Sarkozy a réussi à susciter en sa faveur un vote « petit-bourgeois » et « petit-blanc ». Convaincus d’être du même côté que les très riches, des pauvres et des pas bien riches se sont mis à voter à droite. L’analyse des votes bureau par bureau est éclairante. Les quartiers populaires d’habitat collectif, cités et grands ensembles, ont largement voté à gauche. Mais les quartiers populaires composés de pavillons ont donné des succès inattendus à la droite. C’est une frontière purement culturelle quand on sait que le statut social est souvent identique d’un côté ou de l’autre de la rue. Mais c’est une barrière extrêmement solide. Le mépris du peuple populaire déversé chaque jour par les médias a produit ses effets dévastateurs aux deux bouts de l’électorat de gauche. D’un côté des bobos ont jugé plus moderne de ne pas voter avec le bas peuple, apportant leur voix au « moderne » Bayrou. De l’autre une fraction de l’électorat populaire a choisi de voter Sarkozy avec ses maîtres contre les assistés, les étrangers, « ceux qui ne paient pas leur billet de train ».
La droite a bénéficié dans cette bataille culturelle des moyens considérables de l’idéologie dominante, qui incite le peuple à copier comme il le peut (au moins le bulletin de vote, c’est gratuit) les peoples en papier glacé, acclimatant chacun à trouver l’inégalité sociale extrêmement « fashion ». Sarkozy ne s’y est pas trompé et ce n’est pas un hasard si ses premiers pas de futur président s’apparentent à un reportage dans Voici : dîner au Fouquet’s avec Johnny puis yacht privé à Malte avec la famille recomposée. Mais Sarkozy a aussi construit sa victoire en méprisant les proclamations des modernes de toutes sortes sur la fin des organisations collectives et des idéologies. Pour l’emporter, il a bâti un parti, transformant l’UMP de fond en comble, refondant sa doctrine, renouvelant ses têtes, créant un réseau « d’équipes de supporters », maillage de militants sur tout le pays. Pour entraîner la société, il a incarné une droite clairement assumée et extrêmement idéologisée, allant jusqu’à ressusciter des débats théoriques et philosophiques sur la place respective de l’inné et de l’acquis.
C’est pourquoi la gauche sera condamnée dans un troisième temps à se réinventer. Ce ne sera pas facile. Déjà les vieux disques ressortent des placards où ils prennent la poussière entre chaque élection. « Il faut faire clairement le choix moderne de la voie sociale-démocrate » claironnent ceux qui reprennent l’appel de Michel Rocard en 1978, il y a près de trente ans, au moment où partout en Europe le projet social-démocrate est dans l’impasse. C’est un effort d’imagination d’une toute autre ampleur qu’il faudra faire. Dorénavant tout est à rebattre. Quelle organisation de la gauche, plus de quinze ans après la Chute du Mur de Berlin ? Quelle voie nouvelle entre les échecs jumeaux du communisme d’Etat et de la social-démocratie ? Quelle ligne de reconquête face à la politique de Sarkozy qui risque de remettre en cause jusqu’aux acquis de la Révolution française ? Tous ces débats sont ouverts. Ils s’accéléreront au lendemain des élections législatives. Car dans les semaines qui viennent, la priorité est à sauver ce qui peut l’être. Et si l’heure n’est pas à poursuivre ce qui a échoué, elle n’est pas non plus à tout mettre sur la table.