Peut-on estimer à l'échelle planétaire les risques du changement climatique ?
C'est une demande des gouvernements. La convention climat de l'ONU, signée en 1992, stipule que nous devons stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre (GES) à un niveau évitant toute perturbation «dangereuse» du climat pour les générations futures. La notion de danger à l'échelle planétaire se situe donc au coeur du processus. Le rôle des scientifiques n'est pas de décider de ce qui est dangereux mais de transmettre aux gouvernements et aux opinions publiques les informations dont ils disposent afin de leur permettre de le faire. C'est sur la base de ces informations que l'Union européenne affirme qu'il ne faut pas dépasser une hausse de la température globale supérieure à 2 °C de plus que la température moyenne pré-industrielle. Les scientifiques sont à la frontière qui sépare le politiquement pertinent et le prescriptif.
Peut-on classer ce type de risques ?
Nous avons défini cinq catégories de risques dans le rapport de 2001. Les écosystèmes, les événements extrêmes, la distribution régionale des risques, les «surprises climatiques» non vues par les modèles, l'agrégation (coût monétaire ou nombre de personnes affectées) de la valeur des impacts et des bénéfices. Les études menées et l'évolution du climat depuis six ans ont tendance à montrer, pour chacune de ces catégories, que le risque est plus élevé qu'estimé en 2001. Un survol rapide montre que dès que l'on dépasse 1,5 °C à 2 °C de plus qu'en 1990, de très nombreux écosystèmes sont menacés, de nombreuses régions sont touchées par des événements extrêmes.
Quelques exemples ?
Ils dépendent de la région. En Afrique, c'est l'impact sur l'agriculture et le cycle de l'eau. En Europe, les périodes de canicule, la fréquence accrue des inondations. Sur le bassin méditerranéen, des sécheresses estivales de plus en plus marquées. En montagne, dans les Andes, la disparition des glaciers alimentant des rivières dont le débit est décisif pour l'agriculture et l'alimentation en eau potable durant l'été.
Y a-t-il des gagnants et des perdants du changement climatique ?
Les premiers perdants du changement climatique, sont les pauvres, où qu'ils soient. Ce sont eux qui vont payer le prix fort... D'une part parce qu'ils ont le moins de moyens pour s'adapter à un changement. D'autre part en raison d'impacts plus forts, notamment sur l'agriculture des pays tropicaux. Les céréales cultivées en Inde, le riz notamment, sont déjà à 1 °C de leur tolérance en terme de température. Au delà, les rendements vont baisser si l'on conserve les mêmes variétés. Nous parlons de plus d'un milliard de personnes, à l'alimentation essentiellement végétarienne. Alors que, dans la première phase du réchauffement, l'Europe du Nord, la Sibérie ou le Canada verront leur saison végétative s'allonger, ce qui sera positif pour leur agriculture. L'effet pervers est que les principaux émetteurs vont avoir l'illusion d'échapper aux impacts négatifs. L'idée d'établir, au niveau mondial, une sorte de balance entre impacts positifs et négatifs n'a pas grand sens : est-ce qu'on peut compenser une dévastation des sociétés paysannes très pauvres du Sahel par les meilleures affaires à l'exportation des grandes fermes céréalières du Canada ? Je ne pense pas
La plupart des études d'impact utilisent des scénarios moyens de changement climatique, y a-t-il le risque de sous-estimer les difficultés ?
C'est vrai. Je suis fâché que le groupe de travail n°1 n'ait pas demandé aux modélisateurs d'étudier le scénario le plus élevé en termes d'émissions et de teneur en GES des rapports précédents. Cette recommandation de se limiter à des scénarios bas ou moyens risque d'entraver les études d'impact sur les scénarios les plus émissifs. Or, il est important d'étudier la pire des hypothèses. Non pas pour effrayer le public mais parce qu'une analyse de risque doit étudier le pire, lui assigner une probabilité, et s'il apparaît terrible, tout faire pour l'éviter. Si on ne le connaît pas, on risque de ne pas faire d'effort de prévention. On l'a vu avec le cyclone Katrina, à La Nouvelle-Orléans.
Les incertitudes sur l'évaluation des risques doivent-elles conduire à retarder la réduction des émissions de GES ?
Le discours des économistes qui propose d'attendre le monde radieux où les technologies économes en CO2 coûteront moins cher est dangereux. Pendant ce temps on accumule dans l'atmosphère du CO2 qui va agir durant des décennies. Face à cette certitude, l'espoir de technologies moins chères et plus efficaces relève du pari. En cas d'échec, que diront nos descendants ? Si l'essentiel des dommages est pour le futur, la prévention doit commencer aujourd'hui./.