Deux ans après le rejet du Traité constitutionnel, NicolasSarkozy peut annoncer un traité simplifié, évacuer le vote des Français, après avoir tonné contre la BCE et les délocalisations au cours de la campagne...
Entretien réalisé par Jean-Paul Piérot, publié dans l'Humanité du 22 Juin 2007
Avons-nous surestimé la portée du « non » de gauche le 29 mai 2005 ?
Benoît Hamon. Le « non » de gauche à la constitution européenne a eu un écho et même un certain impact sur la campagne présidentielle. À gauche, on a parlé de la révision du mandat de la Banque centrale européenne, d’une politique commerciale qui n’ait pas pour seul objectif la promotion du libre-échange mais pose la question des protections nécessaires sur des secteurs sensibles en matière sociale ou stratégique. On a débattu du besoin de revoir la politique de la concurrence et des restrictions prévues sur les aides d’État. À gauche, mais aussi dans le discours de Sarkozy qui a instrumentalisé ces thèmes dans la campagne et les a oubliés tout de suite après. Il ne parle plus de révision du mandat de la BCE mais du droit de parler de la politique des changes.
Il a prétendu vouloir lutter contre les délocalisations, mais il ne propose rien sur l’harmonisation fiscale dans la zone euro, or c’est l’un des instruments les plus efficaces pour lutter contre les délocalisations à court et moyen terme. Si on veut lutter contre la pression à la baisse de la fiscalité, il faut mener une politique d’harmonisation fiscale. Sarkozy ne parle pas davantage du budget européen dont on sait qu’il faudrait l’augmenter, parce qu’il est l’un des principaux outils pour bâtir des politiques de solidarité à l’égard des nouveaux États membres, ce qui les empêcherait demain de parier sur le dumping social pour attirer des activités chez eux.
N’est-ce pas pour une part de la responsabilité de la gauche d’avoir laissé ces thèmes détournés par le candidat UMP ?
Sarkozy pratique la triangulation consistant à neutraliser un certain nombre de sujets forts de la gauche. Il a compris ce qu’une partie de la gauche avait refusé de regarder en face. À savoir que le « non » avait deux composantes, l’une souverainiste et eurosceptique et l’autre européenne et antilibérale. Il n’a eu aucune réticence à enfourcher ce cheval-là. En face, l’échec d’une candidature antilibérale à la gauche du PS a affaibli le camp du « non ». En ce qui concerne le PS, Ségolène Royal a fait du chemin par rapport à ses positions sur la constitution européenne, mais manifestement ses prises de parole et celles du PS n’ont pas eu l’écho suffisant.
Alors que se profile un traité simplifié qui serait adopté par la seule voie parlementaire, les forces de gauche ne doivent-elles pas se mobiliser davantage pour s’y opposer ?
Nous devons faire campagne sans attendre. Le traité, tel qu’il va être en arrivant sur le bureau du Parlement, va comporter des réformes institutionnelles susceptibles d’améliorer le fonctionnement de l’Union. Sauf que sera mis de côté tout ce qui serait nécessaire à nos yeux pour modifier le cours de la construction européenne, notamment sur les problématiques économiques et sociales. La question qui va se poser à la gauche au Congrès, c’est la suivante : comment justifier une position en fonction de ce qui n’est pas dans le texte proposé. Il faut donc faire campagne pour dire plusieurs choses : que ce mini-traité compromet l’avenir de l’Europe, car s’il est adopté, il enterre toute perspective de réorientation de la construction européenne. L’harmonisation sociale et fiscale reculera d’autant. D’autre part, qu’il n’est pas admissible que, sur ce qui concerne sa propre souveraineté, le peuple ne soit pas de nouveau consulté. C’est une campagne qui concerne toute la gauche. C’est un sujet sur lequel les formations de gauche doivent discuter ensemble très rapidement. Nous parlons tous les uns et les autres de repenser la gauche et de trouver des terrains de mobilisation unitaires, en voilà un sur lequel on peut, en dépit du « oui » et du « non » d’hier, construire des campagnes en commun. Il faut exiger que le peuple soit de nouveau consulté.