Si la droite a bien compris pourquoi elle avait gagné, beaucoup à gauche se trompent encore lourdement sur les causes de l’échec : lorsque celui-ci n’est pas tout simplement nié (les trois discours de soir du vote de la candidate battue), il est souvent excusé en étant imputé à une droitisation préalable des Français.
Si la droite a bien compris pourquoi elle avait gagné, beaucoup à gauche se trompent encore lourdement sur les causes de l’échec : lorsque celui-ci n’est pas tout simplement nié (les trois discours de soir du vote de la candidate battue), il est souvent excusé en étant imputé à une droitisation préalable des Français. Ce diagnostic "royaliste" est partagé par bon nombre de commentateurs de la vie politique et, du coup, de Français eux-mêmes. Il est pourtant faux selon moi (cette tribune est le reflet d’une analyse personnelle qui n’engage évidemment ni ma profession de sondeur ni mon entreprise, BVA), l’analyse des données d’enquêtes d’opinion recueillies avant et pendant la campagne présidentielle prouvant que c’est une France encore très majoritairement de gauche en décembre 2006 qui a élu quatre mois plus tard triomphalement le champion de la "droite décomplexée" ! L’analyse des données d’opinion recueillies par BVA durant la campagne et surtout la précampagne de novembre à décembre 2006 font apparaître un net avantage en faveur de la gauche sur nos indicateurs du rapport de force politique et idéologique. Les électeurs se sont intéressés à des thèmes avantageant structurellement la gauche comme "l’emploi, la lutte contre la pauvreté, le pouvoir d’achat et l’éducation" (thèmes sur lesquels la gauche dominait encore la droite de 10 à 23 points au démarrage réel de la campagne en janvier 2007). Jusqu’à la fin décembre 2006 les Français se déclaraient plus proches des partis de gauche (à 54 % contre 46 % sur l’ensemble de l’année 2006) que de ceux de droite et ont constamment été 10 points de plus à souhaiter la victoire du candidat de la gauche plutôt que celle du candidat de la droite (40 % contre 30 %). Enfin, ils étaient logiquement plus enclins à voter Royal que Sarkozy : dans nos premières intentions de vote BVA-Orange (12 décembre) réalisées juste après leurs investitures par le PS et l’UMP, Ségolène Royal l’emportait sur Nicolas Sarkozy au premier (35 % contre 32 %) comme au second tour (51 % contre 49 %). Le fait que ce potentiel initial n’ait pas été transformé en vote montre simplement le différentiel de persuasion respectif des deux finalistes. Mais il s’agit évidemment moins d’un problème de personne que de projet : la droite a proposé aux Français un projet de société cohérent, lisible et bien marqué idéologiquement, la gauche ne l’a pas fait. Pour autant, si l’élection de Nicolas Sarkozy ne s’explique pas par une droitisation de l’opinion, elle pourrait bien l’avoir amorcée : le rapport gauche-droite en proximité partisane s’est ainsi parfaitement inversé depuis la victoire de Nicolas Sarkozy (il est passé de 54/46 avant la campagne, à 52/48 avant le premier tour, pour s’établir à 46/54 depuis le 6 mai), et le nouveau président connaît un exceptionnel état de grâce depuis son élection (confiance renouvelée et popularité record). Si l’on y ajoute la nette volonté des Français de lui donner une large majorité pour gouverner et l’atonie des leaders du PS dans la campagne des législatives, on comprend mieux le résultat spectaculaire (mais annoncé depuis longtemps dans les sondages) de dimanche dernier. Mais si le PS ne peut déjà plus éviter une défaite écrasante, il lui est encore possible de sauver un maximum de sortants. Cela implique de reconnaître sa défaite plutôt que de la relativiser en se référant aux sondages ou à l’Assemblée de 2002, et aussi d’expliquer aux abstentionnistes de gauche pourquoi il leur faut se mobiliser au second tour. Sur ce second point, plutôt que de geindre sur le nombre de députés de droite qu’il y aura à l’Assemblée ( "C’est trop injuste, ils vont être trop puissants, à quoi ça sert ?" ), ou de reprocher aux jeunes de ne pas s’être déplacés, il serait préférable de se concentrer sur le fond politique (cela a été fait, en partie, notamment par François Hollande) en reprochant à la droite de mener une "politique de droite" qui avantagera certaines catégories au détriment des autres. En tout cas, la nouvelle "danse du centre" amorcée par Ségolène Royal ne me semble pas permettre une mobilisation accrue de l’électorat populaire, jeune et de gauche ; bien au contraire. Et les reports Modem-PS étant déjà excellents, les gains supplémentaires sur l’électorat Modem seront minimes, tandis que la déperdition des abstentionnistes de gauche et des électeurs d’extrême gauche du premier tour sera importante. C’est peut-être la seule surprise de ce premier tour : voir un parti politique majeur et sa candidate vedette s’obstiner dans l’erreur au point de s’entêter à appuyer sur l’accélérateur à mesure qu’ils voient le mur se rapprocher.