On le disait, on le répétait. En Allemagne, Angela Merkel, chancelière. Au Chili, Michelle Bachelet, présidente. Deux femmes aux responsabilités les plus hautes, pour la première fois. On admirait leur compétence, leur popularité, leur dignité. Alors, en France, pourquoi pas une présidente ? Le temps des femmes s'imposait, comme la modernité, affirmaient les médias en boucle. Gisèle Halimi est avocate, présidente de Choisir - La cause des femmes (Le Monde 29 Juin 07)
Ségolène Royal et son sourire permanent portaient haut l'oriflamme de la féminité politique. Enfin ! Grâce à elle, le dernier bastion de la chasse gardée des hommes, l'échelon suprême, l'Elysée donc, s'ouvrirait aux Françaises. Et après ? Après, dans la douceur d'un rêve un peu flou, un peu fou, se construirait un quinquennat pas comme les autres, une ère neuve et forte, l'aboutissement de l'égalité parfaite, "la marque la plus sûre de la civilisation", écrivait Stendhal.
Il sembla même que le changement des mentalités opérait un bond spectaculaire. Evoquer, pour assumer cette charge, l'expérience nécessaire, la maîtrise de soi et des dossiers, vous classait, au mieux, dans les ringards, plus sûrement dans les machistes misogynes. En réalité, nous nous laissions emporter avec délice par la noria obsédante des sondages. Tous, ils portaient notre candidate aux nues.
A Choisir la cause des femmes, grand frémissement de l'espérance et excitation désordonnée. Nous ne voulions pas en discuter. La compétence, les choix féministes, les mots pour le dire ? Nous n'en avions cure. Il fallait d'abord imposer l'alternance fondamentale, l'alternance des sexes. Ici, je dois confesser combien ma solitude fut grande. J'avais connu Ségolène Royal en avril 1981, Jacques Attali me l'avait présentée. Choisir voulait réunir avant le second tour de la présidentielle les deux finalistes, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Thème- question du débat : "Quel président pour les femmes ?" (Finalement, seul François Mitterrand se prêta au jeu.) Ségolène Royal devait préparer la soirée pour le candidat ; ses premières questions révélaient que le féminisme lui était un objet non identifié. Et la politique, un bon terrain de carrière. Cette apprentie ambitieuse - il est une ambition nécessaire et bonne pour les femmes, il en est une autre, plus banale -, je l'ai vite contournée. Je n'ai jamais senti en elle la cohésion et l'engagement qui transforment en profondeur l'homme ou la femme. Et l'initiative de Choisir - 22 avril 1981 - fit l'événement. Pour la première fois, nous appelâmes les femmes à voter pour le candidat de la gauche.
Telle Cassandre, j'annonçais dès la désignation de Ségolène Royal en 2006 la défaite à venir : "Elle n'est ni en capacité d'être élue ni féministe", expliquais-je. Etait-elle dans cette campagne la leader de la gauche ? Même si nous ne nous plaçons ici que d'un point de vue féministe, force est de constater que sa démarche fut confuse, contradictoire et marquée par les coups qu'elle assénait à son propre parti.
Les 35 heures : oui ou non ? L'augmentation du smic : oui ou non ? Important pour le pays tout entier, mais tellement plus pour les femmes, plus smicardes que les hommes, formant à 83 % les bataillons du temps partiel, écartelées entre le travail, l'absence de crèches, la double ou triple journée... Nous savons aujourd'hui que c'était oui pour la campagne et non au fond d'elle-même. Cette "éthique de la responsabilité" chère à Max Weber, a-t-elle jamais habité notre candidate ? N'avait-elle pas en définitive choisi la séduction au détriment de la conviction ? L'image plutôt que l'argument ? La mise en scène de colères télévisées, l'addiction aux sondages du jour, le choix de conseillers "périphériques" tels qu'un philosophe très médiatique ou une championne en relations publiques, et cela au détriment d'une écoute forte des mouvements de femmes, notamment ?
Ségolène Royal a ainsi désorienté, désespéré celles qui, dans une ferveur retrouvée de la politique, croyaient parler par sa voix. De la "clause de l'Européenne la plus favorisée", par exemple, elle ne voulut rien entendre (Le Monde du 2 juin). L'idée pouvait pourtant la séduire, elle, l'Européenne du oui. Faire bénéficier toutes les femmes d'Europe du statut législatif le plus avancé, d'un bouquet de droit positif choisi pour son plus haut niveau dans chacun des vingt-sept pays, n'était-ce pas un beau projet pour les femmes ? Alors que Bruxelles et ses commissaires ont admis de considérer le principe et recherchent la procédure d'application adéquate, Mme Royal y opposa une fin de non-recevoir
Advint alors la défaite. Comme se débattant dans un monde fantasmatique, elle voulut en faire une victoire. "Mes 17 millions de voix" fut son leitmotiv. Des voix qui réunissaient, ce 6 mai, toute la gauche unie, une grande partie du centre, les TSS ("tout sauf Sarkozy"), une partie de la droite chiraquienne et enfin, surtout, les femmes qui comme nous votaient femme pour entrer dans l'histoire de la République.
Ces femmes - comme toute la gauche - vivent aujourd'hui une régression politique. Reste donc en piste le président Sarkozy. Son maître mot, l'ouverture. L'égalité hommes-femmes, un projet sérieux dans son programme paritaire. Ainsi son gouvernement intègre aux postes de ministre à part entière sept femmes et huit hommes. On peut dire que le compte y est. Il serait même équitable de féliciter la droite victorieuse d'avoir osé confier à des femmes des portefeuilles régaliens tels que la justice et, pour la première fois, l'économie et l'intérieur. Reste l'inexpugnable ministère des affaires étrangères, toujours étranger aux femmes, alors que dans plusieurs pas d'Europe (en Suède, par exemple) la charge leur en a déjà été confiée.
Premier bémol : quatre femmes seulement sur dix-sept secrétaires d'Etat. Le compte gouvernemental y est déjà moins, avec au final onze femmes et vingt-deux hommes sur trente-trois. Deuxième réserve importante : manque le ministère par excellence, celui des droits des femmes, destiné spécifiquement à résorber les inégalités dont elles souffrent (53 % de notre population). Disparu corps et biens, dans le silence de la majorité, sans explication.
Le président Sarkozy aurait-il estimé qu'une parfaite égalité régnait déjà entre les hommes et les femmes, et cela par le seul miracle de son élection ? Aurait-il ainsi conclu à l'inutilité d'un tel ministère ? Mais a-t-il, avant de décider, jeté un oeil sur les chiffres de la discrimination dans l'emploi ? S'est-il souvenu qu'une femme meurt dans notre pays tous les trois jours des violences de son compagnon ? A-t-il consulté quelques-unes de ces listes d'attente interminables dans les crèches ?
Et que dire du pouvoir législatif, fondement de notre démocratie, encore pléthoriquement masculin ? Responsable de la désignation de son premier ministre et, on l'a vu, de la nomination du gouvernement, Nicolas Sarkozy a choisi des femmes compétentes pour des postes clés. Ce qui est donc à son actif. Mais chacun sait que nommer - le fait du prince - n'est pas élire. Et le fait du prince s'identifie quelquefois au bon plaisir (politique) sans rationalité commune avec le choix du peuple.
D'un tout autre fondement procède l'élection au suffrage universel. Le peuple citoyen tranche et élit. La Constitution oblige les partis à lui permettre d'élire à parité hommes et femmes, c'est-à-dire à lui présenter 50 % de candidates. Or certains partis, avec quelque cynisme, préfèrent transgresser la loi et encourir des sanctions financières. Notamment l'UMP, qui n'a fait élire que 45 femmes sur ses 323 députés !
En bref, l'Assemblée nationale ne compte aujourd'hui que 105 députées (sur 577), soit 18,54 % de femmes. Elles étaient près de 13 % aux dernières élections législatives. Pas de quoi pavoiser... A ce rythme, il faudrait attendre plus d'un siècle et demi pour que justice paritaire soit faite au Parlement.
Ces chiffres n'expriment pas seulement un calcul mathématique. Ils disent la résistance des princes qui nous gouvernent à la seule ouverture digne d'entrer dans l'histoire de notre démocratie, pour lui donner tout son sens. Une femme candidate au second tour de la présidentielle, sept femmes ministres à part entière, des avancées incontestables de notre cause. Mais au goût mêlé, contredites par d'autres facteurs. Cependant l'espérance doit demeurer. Car elle "voit ce qui n'est pas encore et qui sera", disait Péguy.