Le problème n’est pas seulement que toutes les facs aient le même statut mais qu’elles aient toutes les mêmes missions.
Entretien avec Jean Fabbri, secrétaire général du SNESup - L'Humanité du 28 Juin 2007.
Alors que les représentants syndicaux allaient être reçus, hier dans l’après-midi, par Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, nous avons joint par téléphone le secrétaire général du SNESup.
Autonomie à la carte, sélection en mastère, réduction des CA... ces trois sujets sensibles pourraient disparaître du projet. Satisfaits ?
Jean Fabbri. Non. Évidemment, si la sélection à l’entrée du mastère devait sauter, nous nous en réjouirions. Installer un numerus clausus après bac + 3 est une aberration, quand l’université française manque de doctorants. Mais ce n’est pas l’essentiel de ce projet. Sa logique globale est destructrice pour l’enseignement supérieur. Elle vise une université à deux vitesses, et le caractère optionnel de l’autonomie budgétaire a peu à voir là-dedans. Le problème n’est pas que toutes les facs aient le même statut. Mais que toutes aient les mêmes missions et la même capacité d’exercer leurs compétences en recherche et formation. Or, ce projet s’inscrit dans la lignée du rapport Goulard (1) et des recommandations européennes, lesquels indiquent que la France n’a pas besoin de ses 84 universités. De fait, la logique défendue est celle de la mise en concurrence. Les universités qui s’engageront dans le sens des intérêts de la recherche appliquée, par exemple, recevront plus de moyens. Et quand certaines pourront s’appuyer sur de gros laboratoires et des écoles doctorales, d’autres seront cantonnées à des formations du niveau licence.
Vous dénoncez aussi la mort du principe de collégialité, fondateur, dites-vous du système universitaire...
Le projet prévoit de faire exploser les modes de recrutement des enseignants. C’est extrêmement grave pour la construction des savoirs et de la recherche. Jusqu’à présent, le recrutement s’opère via des commissions de spécialistes, composées en partie d’enseignants de la même discipline que le postulant. Ce ne sera plus automatiquement le cas. De même, le conseil scientifique, dont l’avis compte beaucoup en matière de choix scientifiques, verra sa portée limitée, au profit du conseil d’administration et du président de l’université. Tout en n’étant plus forcément élu parmi les enseignants chercheurs, celui-ci disposera d’un quasi-droit de veto sur le recrutement et l’affectation des professeurs.
Et cela nuirait à la qualité de la recherche ?
Pas seulement de la recherche, mais aussi à de nombreux champs disciplinaires et d’enseignements. Il faut comprendre : les savoirs se construisent au sein des disciplines. Autrement formulé, on n’est pas universitaire ex nihilo, sans rattachement disciplinaire. On est universitaire parce que l’on est spécialiste en langue étrangère appliquée, en allemand ou en mathématiques. Et cette spécialité n’est pas déclarative : elle est le fruit de confrontations permanentes avec la communauté scientifique nationale et internationale. C’est cette collégialité que briserait la nouvelle organisation.
Vous exigez aussi la tenue rapide d’un collectif budgétaire...
Candidat, Nicolas Sarkozy assurait qu’un milliard d’euros de plus par an serait versé à l’université et à la recherche. Président, il refuse la création d’un collectif budgétaire pour 2007 et repousse d’éventuelles mesures financières à septembre 2008. C’est une escroquerie. Mardi, lorsque nous l’avons rencontré, nous lui avons donc remis un projet de collectif pour la rentrée prochaine.
Entretien réalisé par M.-N. B.