Entretien du premier secrétaire du Parti socialiste au journal Le Parisien
Le Parisien.fr du 13 Juillet 2007
Nicolas Sarkozy souhaite pouvoir s'adresser directement aux parlementaires. Selon vous, change-t-on de régime ?
François Hollande. L'intention de Nicolas Sarkozy, c'est de présidentialiser la République.
Nous sommes, nous, favorables à l'équilibre des pouvoirs. Face à un président qui doit, bien sûr, présider, il faut un Parlement qui vote la loi et contrôle l'exécutif. Or, Nicolas Sarkozy, dans son discours d'Epinal, a ouvert un débat sur de nombreuses questions institutionnelles. Mais la seule mesure précise qu'il a annoncée le concernait personnellement : celle de pouvoir s'adresser directement au Parlement. Il a ainsi révélé le but ultime de sa réforme.
Nicolas Sarkozy propose pourtant de renforcer les pouvoirs de contrôle du Parlement...
Tout ce qui viserait à supprimer les procédures contraignantes qui pèsent sur l'Assemblée (article 49-3, vote bloqué, droit d'amendement), à réformer le mode de scrutin (une part de proportionnelle pour l'Assemblée et un changement profond du mode de désignation des sénateurs) irait dans le même sens que nos propositions. En revanche, tout ce qui accentuerait le pouvoir présidentiel - déjà élargi par la pratique de la Ve République - serait contraire à l'idée d'équilibre et de responsabilité.
Le PS ira-t-il jusqu'à bloquer la réforme si elle ne lui convient pas ?
Nous avons la clé de la réforme si elle n'est pas soumise à référendum puisqu'il faut une majorité des trois cinquièmes au Congrès pour adopter un projet de loi constitutionnel. Nous sommes donc devant une épreuve de vérité : si le texte contribue au renforcement des pouvoirs du Parlement, alors un consensus est possible et nous participerons autant qu'il sera possible au débat. Dans le cas contraire, une occasion de réforme utile à notre pays aura été manquée.
« On ne peut pas être de gauche et ministre d'un gouvernement menant une politique de droite »
Pourquoi, dans ces conditions, menacer Jack Lang de sanctions s'il accepte la proposition de Nicolas Sarkozy d'entrer dans une commission parlementaire, droite et gauche réunies, chargée de réfléchir à une modernisation des institutions ?
Nous avons posé une règle de bon sens : celle ou celui qui accepterait - nommé par le président -, d'aller dans une telle commission n'engagerait que lui-même. Et dans le cas d'un dirigeant du PS, il serait, durant le temps de cette mission, libéré de sa responsabilité. Peut-on faire moins ? Doit-on faire plus ? Il s'agit là ni d'une sanction ni d'une pression, simplement d'une exigence de clarté.
Pourquoi cette sévérité envers le seul Lang ?
La tactique de Nicolas Sarkozy consiste, au nom de « l'ouverture », à créer de la confusion pour déstabiliser les formations politiques d'opposition. Car il craint l'échéance des prochaines élections municipales de mars 2008. Quand il a appelé des personnalités socialistes à entrer au gouvernement, celles-ci, en y consentant, se sont immédiatement placées en dehors du PS : on ne peut pas être de gauche et ministre d'un gouvernement menant une politique de droite. En revanche, pour Lang, s'il acceptait de figurer dans la commission, il s'agirait là d'un congé de direction du PS le temps de sa mission.
Et Dominique Strauss-Kahn soutenu par la France pour diriger demain le FMI ?
Cette idée, qui est d'ailleurs venue de chefs d'Etat européens, a reçu notre plein soutien.
« Au PS, nous avons travaillé, mais pas au rythme et avec les formes qui convenaient »
Le PS n'est-il pas très déstabilisé par les initiatives de Sarkozy ?
Le PS, ce sont plus de deux cents députés, une centaine de sénateurs, la présidence de vingt régions sur vingt-deux, la moitié des départements, 17 millions d'électeurs sur le nom de Ségolène Royal. C'est la seule force d'alternance. Que des personnalités veuillent pour un temps s'éloigner de la vie partisane quotidienne, c'est normal. Que d'autres aspirent à une fonction internationale, c'est une chance si elles peuvent y accéder. Ce qui est inacceptable, c'est que des responsables politiques qui avaient pu faire la campagne de Ségolène Royal puissent se retrouver dans un gouvernement Sarkozy. Mais le PS n'est en aucune façon déstabilisé. Il doit savoir résister et aux manoeuvres de Sarkozy et à la déferlante médiatique qu'elles suscitent. Et il doit mener un travail utile d'opposition en sachant que la réalité finit toujours par triompher de l'habileté.
Vous, personnellement, comment comptez-vous réagir ?
Ma tâche consiste à prendre acte de notre défaite et de lancer immédiatement un processus de rénovation, de refondation et de propositions. Notre objectif : que le PS défende les Français et prépare l'avenir. J'ai confiance car j'ai de la mémoire. Je me souviens de ce qu'on disait il y a plus de trente ans lorsque Giscard, en 1974, avait battu Mitterrand : il pratiquait déjà l'ouverture, nommait des ministres issus de la gauche et faisait des réformes courageuses, telles l'IVG et la majorité à 18 ans, et on disait qu'il était là pour quatorze ans au moins. On connaît la suite. Je me souviens aussi de la brutale défaite de 1993. Certains souhaitaient déjà un « big bang ». Et nous sommes revenus quatre ans plus tard avec Lionel Jospin. Je me souviens, bien sûr, de 2002. Là encore nous, avons pu surmonter l'épreuve. Cette fois, nous pouvons le faire d'autant mieux que nous avons un socle de 17 millions de voix et plus de 200 députés. Il faut donc garder notre sang-froid, mais sans faire comme si rien ne s'était passé. Il faut changer ce qui doit l'être, rénover notre pensée, renouveler les générations.
Vous reconnaissez qu'il y a eu une défaite ?
Pas une, mais deux ! Il faut regarder ce qui n'a pas été convaincant dans notre projet, ce qui peut être changé en termes de calendrier et de mode de rassemblement de toute la gauche. Je propose qu'avant les municipales, dès la rentrée, nous mettions toutes les idées sur la table. Pour montrer que les socialistes affrontent le réel et apportent des réponses neuves et les adhérents du PS trancheront lors de notre congrès entre les options qui auront été ouvertes. J'ai reçu mandat pour conduire les socialistes jusque-là. Et j'exercerai pleinement la légitimité que j'ai reçue des adhérents du PS.
On vous reproche, depuis 2002, de ne pas avoir « travaillé »...
Nous avons travaillé, mais pas au rythme et avec les formes qui convenaient. Au congrès de Dijon, c'est la ligne réformiste qui l'a emporté sur ceux qui nous disaient qu'il fallait aller encore plus à gauche. Sur le oui ou le non au traité européen, nous avons eu un débat qui nous a pris trop de temps, et surtout qui nous a divisés. Sans doute avons-nous désigné trop tard notre candidate. Je crois surtout que nous n'avons pas appréhendé suffisamment ce qu'étaient les attentes de la société, et pas assez donné une logique d'ensemble à nos propositions. Nous avons manqué de cohérence.
Un autre candidat du PS aurait-il pu gagner ?
Il y a une responsabilité d'ensemble qui tient, j'insiste, à un défaut de solidarité et de clarté.
« Je suis pour que Ségolène Royal se sente pleinement à l'aise dans son parti »
Lorsque vous avez parlé de fiscalité, n'avez-vous pas vous-même introduit de la confusion dans la campagne de Ségolène Royal ?
Nous n'avons pas mené suffisamment le débat fiscal avec la droite. La stratégie de Sarkozy, c'est essentiellement un programme fiscal pour les plus favorisés. L'Assemblée nationale ne vient-elle pas de voter 13 milliards d'euros de cadeaux fiscaux ? Nous aurions pu aussi présenter plus précisément - et je ne dis pas que ma formule était bonne - nos propositions fiscales. De manière à démontrer que les socialistes veulent mettre la fiscalité au service de la croissance et de la justice. Nous préférons, nous, baisser la taxe d'habitation plutôt que l'ISF. Dans une campagne, les questions économiques, sociales et fiscales constituent le thème majeur de la confrontation démocratique avec la droite.
Ce qui s'est passé dans votre couple a-t-il joué un rôle négatif ?
Non. Nous avons toujours séparé vie personnelle et vie politique.
Certains vous reprochent d'avoir cru que l'alternance serait quasi automatique...
Nous avons sans doute pensé que l'échec de la droite pendant les cinq années de présidence pleine de Chirac, de 2002 à 2007, conduisait nécessairement au succès de la gauche. Et beaucoup avaient imaginé que le rejet et la peur qu'inspirait Nicolas Sarkozy pouvaient suffire à mobiliser un électorat, au-delà même des propositions qu'on lui adressait. En réalité, une élection se gagne sur un projet et sur une dynamique. Pas seulement sur un coup d'arrêt ou sur une sanction. Cette leçon-là vaut pour l'avenir.
Aujourd'hui, êtes-vous un allié ou un concurrent de Ségolène Royal ?
Je suis pour que Ségolène Royal se sente pleinement à l'aise dans son parti. Il ne faut surtout pas qu'il puisse y avoir chez elle ou d'autres la tentation de se placer en lisière. Le PS doit être le lieu du débat, et le seul. Cela suppose le respect des personnes, le respect de la démocratie, le respect des règles, le respect du PS. C'est ainsi que la rénovation, pour moi, doit commencer./.